Chapitre
1
Les portes de la salle suprême s'ouvrirent
de nouveau. Doc Arnica, seule personne autorisée à les franchir, apparut.
Après presque 6 jours,
sans communiquer, sans donner signe de vie, et après avoir expressément ordonné
aux autres gardiennes de ne la déranger sous aucun prétexte, elle sortit de la
pièce. Son visage était encore plus sombre que lorsqu'elle y était entré.
Ce n'était pas la
première fois qu'elle s'enfermait dans cette pièce, mais jamais à sa sortie, les
traits sur son visage, et son silence, n'avaient autant inquiété ses suivantes.
Elle avait ressenti des
soubresauts dans l'équilibre du mana qui ne pouvaient demeurer floues. Ces
jours de méditation, la main posée sur la plus ancienne racine d'Yggdrasil
avaient répondu à ses questions mais n'avaient aucunement apaisé ses craintes.
Personne n'osa lui
demander ce qu'elle avait vu, ce qu'elle avait perçu. Il était de coutume que
la gardienne suprême soit la première à parler après une méditation.
Elle traversa le long
couloir brillant de l'intense lumière qui traversait ses vitres géantes jusqu'à
sa chambre. D'un pas rapide et régulier, elle le parcourut sans croiser un seul
regard, sans laisser filtrer une once de réponse aux questions silencieuses qui
l'entouraient .
Arrivée sur le pas de la
porte de sa chambre, elle finit par se tourner vers sa première suivante, qui
avait suivi son rythme, derrière elle, comme le veut le protocole. Elle la
regarda droit dans les yeux, le temps de se faire comprendre, sans dire le
moindre mot, puis s'enferma dans sa chambre, seule.
Quelques dizaines de
minutes plus tard, une embarcation modeste attendait sur la plage qui faisait
face à l'entrée du Sanctuaire.
**
— Reviens ici espèce de petit morveux, hurla un garde dont
le poids de base ajouté à celui de son armure ne lui permettait pas de suivre
la cadence de celui qu'il espérait attraper.
Michaël continuait sa
course effrénée dans les rues de Lodegrien pour échapper à ses poursuivants.
Connaissant les rues du quartier par cœur, il savait qu'à cette heure, le
marché du tissu serait pour lui un atout majeur dans son évasion. Il décida de
tourner sur sa droite, sauta par-dessus une brouette de fumier, évita de
justesse de renverser une femme qui portait une montagne de châles aux couleurs
diverses, pour finalement se retrouver dans l'artère principale du marché. Les
4 gardes qui le poursuivaient, ne le lâchaient pas. Si celui qui semblait les
commander perdait du terrain, ce n'était pas le cas des autres qui maintenaient
une distance stable avec Michaël, leur permettant de ne pas le perdre de vue.
Se faufilant entre les stands et les passants, Michaël en profita pour
chaparder une petite bourse en cuir laissée sans surveillance sur un stand
pendant plus de 2 secondes, ce qui est bien trop pour résister à l'agilité de
notre fugitif. Sentant son avance fondre, malgré ses estimations, il s'extirpa
de l'allée principale, se glissant entre deux stands, et entra dans la taverne
qui se trouvait devant lui. A l'intérieur personne ne sembla noter son entrée.
Maintenant il lui fallait réussir à se faire totalement oublier.
La plupart des tables
étaient pleines. Un brouhaha naissait toutes les conversations qui se tenaient
à chacune des tables, certaines plus animées que d'autres. Des vapeurs de
cuissons et d'alcool chauds embrumaient la salle. Il lui fallait s'asseoir au
plus vite pour maximiser ses chances de ne pas être repéré. Il repéra une table
dans le coin droit, apparemment pour deux, mais une seule personne s'y tenait.
Ça fera l'affaire, se dit il. Il bouscula légerement une personne pour se
faufiler jusqu'à la table et se posa sans regarder celui qui lui faisait face,
trop occupé à redresser sa capuche sur sa tête. Deux chopes encore mousseuses étaient
posées sur la table, il se saisit de la plus proche mais la main de son
collègue de tablée l'attrapa au poignet.
— Pose cette chope si tu tiens à la vie lui dit une voix
posée, un peu grave, et menaçante.
— Quoi ? Tu vas me tuer pour avoir trempé mes lèvres dans
ta bière ? Des gardes vont arriver d'un instant à l'autre dans cette taverne,
je pense que ce n'est pas ce que tu as de mieux à faire, répondit Michaël.
— Ce n'est pas moi qui vais te tuer, mais ce que j'ai mis
dans cette chope avant ton arrivée. Elle ne t'est pas destinée, alors pose la
et libère cette place. Je ne me répéterai pas, ajouta l'inconnu.
Michaël perdit un instant
son sourire, releva la tête et se retrouva nez à nez avec un khajit. Ses
poils gris, marqués de quelques traits noirs, son museau et sa moustache ne
laissaient pas de place au doute. Les khajit n'étant pas connu pour leur humour
mais plutôt pour leur manque total de second degré, Michaël lâcha aussitôt la
chope, et se releva doucement. Il s'asseya à la table d'à coté qui venait de se
libérer.
Un garde entra dans la
taverne. Les représentants de l'ordre Lodegrienien n'étaient pas les bienvenus
ici. Tous les regards se tournèrent vers lui, avec une insistance qui ne lui
autorisa qu'un rapide coup d'œil inefficace pour rechercher sa cible avant de
devoir sortir, par instinct de survie.
Michael assista à la
scène, sans se retourner, en utilisant le reflet d'un miroir légèrement sur sa
gauche en contrebas d'un escalier. Il lâcha un soupir de soulagement. Ce
n'était pas passé loin cette fois.
Un homme passa sur sa
droite et s'assit à son ancienne place. Sa position permettait à Michaël
d'écouter leur conversation, il n'aurait certainement pas dû, mais le khajit
semblait ne lui accorder aucune attention.
— Tu voulais me voir Tiben ? demanda l'homme.
— Il faut que l'on parle, et c'est important lui répondit
le khajit d'une voix toujours aussi monocorde.
— Je vois que tu as déjà commandé les boissons, tu sais
recevoir, à défaut d'être humain tu as quand même quelques unes de nos qualités.
Tiben ne releva pas
l'affront et enchaina.
— Tu as détourné et volé des marchandises il y a deux
jours, sur la route de Druceis. Dont un coffre en particulier. La personne a
qui il appartiennent veut le récupérer, lui et ce qu'il contenait.
— Celui a qui il appartenait tu veux dire, parce que
désormais il s'agit de mes possessions, et de toute façon, je l'ai déjà donné à
mon commanditaire. Je n'aime pas que tu me fasses venir pour ça, surtout que tu
es plutôt mal placé pour jouer les justiciers.
— Je n'ai pas de temps à perdre, nous faisons tous des
erreurs, et je ne critique pas tes actes, mais cette fois ci, je me vois dans
l'obligation de te demander au moins qui est ton commanditaire, que je vois
cela avec lui.
— Tu veux le nom de mon commanditaire ? Tu m'as pris pour
qui ? Un homme de foi ? Ecoute moi bien le félin, je vole, je pille, et toi tu
ne vaux pas mieux que moi, je te connais depuis longtemps et c'est pour ça que
je ne t'ai pas encore ouvert la gorge en deux, maintenant lâche moi avec cette
histoire avant que ma patience ne cède et que je me fasse greffer tes moustaches
en guise de sourcils.
Tiben ne répondit pas, il
attrapa sa chope, mais la main de l'homme qui lui faisait face l'arrêta.
— Je préfère ça, on va trinquer à ton culot mal placé,
mais avant on va mélanger nos verres. Je n'ai plus confiance en toi depuis
l'incident de Taos et ce n'est pas ton attitude aujourd'hui qui va changer ça.
L'homme attrapa les deux
chopes, et versa un peu du contenu de celle de Tiben dans la sienne, avant de
faire la manoeuvre inverse. Il réitéra deux fois.
— En même temps, le khajit, ordonna t'il.
Accédant à sa demande,
Tiben bût sa chope en même temps que lui.
Ils reposèrent les
chopes, vides, sur la table et l'homme s'écria :
— Bon, je vais être
gentil et oublier le coup que tu es en train de me faire, mais ne recommence
plus jamais ce petit jeu avec moi.
A peine eut il terminé sa
phrase qu'il tomba raide mort sur la table, les yeux grands ouverts.
— Plus jamais, c'est promis, lui répondit Tiben.
Puis il se releva, mais
sa jambe gauche ne le porta pas affaibli et Michaël, de manière reflexe,
l'attrapa en pleine chute.
— Amène moi à l'étage, chambre 21, s'il te plait humain,
et je te paierai.
Michaël ne répondit pas,
et s'exécuta.
Chaque marche de l'escalier
qui menait au chambre rappela à Michaël son gabarit fin et agile mais nullement
basé sur la force musculaire. Personne ne l'aida, en fait, personne ne leur
prêtait attention.
Tiben était de plus en
plus lourd, et bientôt sa jambe droite puis le toute la partie basse de son
corps ne le portaient plus. Heureusement ils étaient arrivés en haut de
l'escalier.
Michaël réalisa qu'il
allait devoir trainer le khajit au sol. L'espace d'un instant il se demanda
s'il allait le tirer par les bras ou par la queue. Grand bien lui fit, se
diront les khajits, il opta pour les bras.
Arrivé à la chambre 21,
Michaël sentait que ses bras le brulaient. Il ouvrit la porte et tomba nez à
nez avec une femme mi elfe mi humaine qui mélangeait des potions sur un petit
bureau en bois.
— Vous avez du vous tromper de chambre, dit elle, sans
menace, sans colère.
— Je... je ne sais pas, c'est lui qui m'a dit chambre 21,
expliqua Michaël en montrant le corps étalé de Tiben dont la bouche laissait
échapper un petit filet de bave mousseux.
— Oh non, qu'est ce qu'il a fait encore ? demanda t'elle
en s'approchant avant d'ajouter, déposez le sur le lit.
Michaël se demanda où il
allait trouver la force de faire ça, mais accéda à la requête.
Une fois sur le lit,
Tiben sembla reprendre un peu ses esprits.
— Flu... Fluorette.
— Oui, c'est moi, je ne sais pas comment tu fais ton
compte, mais tu es fatiguant, sache le.
Puis elle se tourna vers
Michaël.
— Qu'est ce qui lui est arrivé ?
— Je ne sais pas, il a bu dans sa chope, mais... du poison,
il devait y avoir du poison.
Fluorette se pencha sur
Tiben, ouvrit sa bouche tant bien que
mal, regarda ses canines, puis sa conjonctive. Elle prit son pouls, avant de se
relever.
— Bon, vous, comment vous appelez-vous ?
— Michaël.
— Parfait, alors, Michaël, vous allez lui maintenir la
gueule ouverte, et que je vous le dirai vous la fermerez et vous mettrez les
doigts dans son museau pour bloquer toute arrivée d'air.
— Euh, d'accord.
Michaël s'exécuta au
signal de Fluorette une fois que cette dernière eut versée une miction pâteuse
et violette dans la gueule de Tiben.
Une fois la gueule fermée
et le museau bouché, Tiben eut un reflexe de déglutition.
— Maintenant penchez le sur le coté, sur le bord du lit
et mettez cette bassine juste devant lui, sur le sol.
Michaël le mit en
position, mais à peine eut il le temps de mettre la bassine en place que Tiben
se mit à vomir un demi litre d'un liquide vert et rouge, sans se réveiller.
— Parfait. Maintenant nous n'avons plus qu'à attendre,
lui signifia Fluorette.
**
Le bateau de Doc Arnica arriva sur une plage des plaines de la Félicité.
Aucun cortège, aucune autre embarcation ne l'avait accompagné. Les couleurs des
voiles du bateau à elles seules assuraient un voyage sans embuche. Aucun fou ne
l'était assez pour oser s'attaquer à la gardienne suprême d'Yggdrasil.
Doc Arnica posa pied à
terre et se dirigea vers l'homme à cheval qui était immobile depuis de longues
minutes en haut de la dune qui faisait face au bateau.
Arrivée en haut, elle
passa sa main sur le flanc du cheval qui ne broncha pas.
— Merci d'être venu, dit elle.
— Tu sais bien que je n'ai pas le choix, répondit le
cavalier.
— Ce n'est pas ce que je voulais dire, et tu le sais, ajouta
t'elle.
— Viens en aux faits. Tu n'es quasiment jamais sorti de
ton sanctuaire, et lorsque tu demandes à me voir ce n'est jamais pour des bonnes
nouvelles, ne trainons pas.
— Bonnes, mauvaises nouvelles, tout est une question de
point de vue, tu ne comprendras jamais cela.
L'homme ne répondit pas.
— Ça commence, dit elle.
Un long silence s'en
suivit. Puis l'homme descendit de son cheval et se dressa face à elle.
— Tu en es sure ?
— Oui, ma position ne permet pas l'incertitude.
– Et que vas-tu faire ?
— Moi rien, je suis simplement venu te prévenir, mais je
ne peux rien faire de plus et tu le sais.
— J'espère que tu n 'es pas sérieuse ? Tu vas garder ton
éternelle neutralité même aujourd'hui ? Alors que l'équilibre même du monde va
être remis en cause ?
— Ce n'est pas à moi de décider, j'outrepasse probablement
déjà mes prérogatives en venant te voir vu que je sais ce que tu vas tenter de
faire.
— Et si cela ne se termine pas de la bonne manière, tu
vivras pour l'éternité dans le regret ? Couverte du sang de la lâcheté, c'est
donc cela que tu veux ?
— Je te le répète. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise
manières. Tu es toujours dans le manichéisme, la dichotomie, le bien et le mal,
mais cela n'est qu'une vue de l'esprit. Personne ne peut réellement juger ce
qui est bien ou pas. Ni toi, ni moi, ni personne.
— Il est facile ce discours pour toi. Toi qui ne te salis
jamais les mains, toi qui penses que ne pas choisir est une possibilité. Laisse
moi te dire que tu te trompes, ne pas choisir c'es aussi faire un choix, celui
de la lâcheté.
— Cette discussion a assez duré, ce qui devait être dit a
été dit, je dois partir. A toi de voir ce que tu veux faire, je ne pourrais que
guider ceux qui le voudront, sans distinction ni préférence et encore moins en
me basant sur des critères arbitraires de jugement de valeur. Je ne changerais
pas les règles de ce monde pour toi Christian Lehmann, ni pour toi, ni pour
personne d'autre. Je savais que t'en parler n'était pas une bonne idée, mais si
je l'ai fait c'est pour une seule raison.
— Je t'écoute.
— Il en fait parti.
Sur ces mots, elle se
retourna. Christian n'avait pas répondu à sa dernière phrase. Mais son visage
exprimait une certaine inquiétude.
Doc Arnica descendit la
dune pour regagner son bateau. Christian resta immobile jusqu'à ce que le
bateau s'efface sous l'horizon. Il savait que lorsqu'il monterait de nouveau
sur son cheval ce serait pour entamer ce qui pourrait être sa dernière quête.