dimanche 28 février 2016

Yggdrasil chapitre 1

Chapitre 1

                Les portes de la salle suprême s'ouvrirent de nouveau. Doc Arnica, seule personne autorisée à les franchir, apparut.

Après presque 6 jours, sans communiquer, sans donner signe de vie, et après avoir expressément ordonné aux autres gardiennes de ne la déranger sous aucun prétexte, elle sortit de la pièce. Son visage était encore plus sombre que lorsqu'elle y était entré.
Ce n'était pas la première fois qu'elle s'enfermait dans cette pièce, mais jamais à sa sortie, les traits sur son visage, et son silence, n'avaient autant inquiété ses suivantes.
Elle avait ressenti des soubresauts dans l'équilibre du mana qui ne pouvaient demeurer floues. Ces jours de méditation, la main posée sur la plus ancienne racine d'Yggdrasil avaient répondu à ses questions mais n'avaient aucunement apaisé ses craintes.
Personne n'osa lui demander ce qu'elle avait vu, ce qu'elle avait perçu. Il était de coutume que la gardienne suprême soit la première à parler après une méditation.
Elle traversa le long couloir brillant de l'intense lumière qui traversait ses vitres géantes jusqu'à sa chambre. D'un pas rapide et régulier, elle le parcourut sans croiser un seul regard, sans laisser filtrer une once de réponse aux questions silencieuses qui l'entouraient .

Arrivée sur le pas de la porte de sa chambre, elle finit par se tourner vers sa première suivante, qui avait suivi son rythme, derrière elle, comme le veut le protocole. Elle la regarda droit dans les yeux, le temps de se faire comprendre, sans dire le moindre mot, puis s'enferma dans sa chambre, seule.
Quelques dizaines de minutes plus tard, une embarcation modeste attendait sur la plage qui faisait face à  l'entrée du Sanctuaire.

**

            — Reviens ici espèce de petit morveux, hurla un garde dont le poids de base ajouté à celui de son armure ne lui permettait pas de suivre la cadence de celui qu'il espérait attraper.

Michaël continuait sa course effrénée dans les rues de Lodegrien pour échapper à ses poursuivants. Connaissant les rues du quartier par cœur, il savait qu'à cette heure, le marché du tissu serait pour lui un atout majeur dans son évasion. Il décida de tourner sur sa droite, sauta par-dessus une brouette de fumier, évita de justesse de renverser une femme qui portait une montagne de châles aux couleurs diverses, pour finalement se retrouver dans l'artère principale du marché. Les 4 gardes qui le poursuivaient, ne le lâchaient pas. Si celui qui semblait les commander perdait du terrain, ce n'était pas le cas des autres qui maintenaient une distance stable avec Michaël, leur permettant de ne pas le perdre de vue. Se faufilant entre les stands et les passants, Michaël en profita pour chaparder une petite bourse en cuir laissée sans surveillance sur un stand pendant plus de 2 secondes, ce qui est bien trop pour résister à l'agilité de notre fugitif. Sentant son avance fondre, malgré ses estimations, il s'extirpa de l'allée principale, se glissant entre deux stands, et entra dans la taverne qui se trouvait devant lui. A l'intérieur personne ne sembla noter son entrée. Maintenant il lui fallait réussir à se faire totalement oublier.

La plupart des tables étaient pleines. Un brouhaha naissait toutes les conversations qui se tenaient à chacune des tables, certaines plus animées que d'autres. Des vapeurs de cuissons et d'alcool chauds embrumaient la salle. Il lui fallait s'asseoir au plus vite pour maximiser ses chances de ne pas être repéré. Il repéra une table dans le coin droit, apparemment pour deux, mais une seule personne s'y tenait. Ça fera l'affaire, se dit il. Il bouscula légerement une personne pour se faufiler jusqu'à la table et se posa sans regarder celui qui lui faisait face, trop occupé à redresser sa capuche sur sa tête. Deux chopes encore mousseuses étaient posées sur la table, il se saisit de la plus proche mais la main de son collègue de tablée l'attrapa au poignet.

            — Pose cette chope si tu tiens à la vie lui dit une voix posée, un peu grave, et menaçante.
            — Quoi ? Tu vas me tuer pour avoir trempé mes lèvres dans ta bière ? Des gardes vont arriver d'un instant à l'autre dans cette taverne, je pense que ce n'est pas ce que tu as de mieux à faire, répondit Michaël.
            — Ce n'est pas moi qui vais te tuer, mais ce que j'ai mis dans cette chope avant ton arrivée. Elle ne t'est pas destinée, alors pose la et libère cette place. Je ne me répéterai pas, ajouta l'inconnu.

Michaël perdit un instant son sourire,  releva la tête et se retrouva nez à nez avec un khajit. Ses poils gris, marqués de quelques traits noirs, son museau et sa moustache ne laissaient pas de place au doute. Les khajit n'étant pas connu pour leur humour mais plutôt pour leur manque total de second degré, Michaël lâcha aussitôt la chope, et se releva doucement. Il s'asseya à la table d'à coté qui venait de se libérer.

Un garde entra dans la taverne. Les représentants de l'ordre Lodegrienien n'étaient pas les bienvenus ici. Tous les regards se tournèrent vers lui, avec une insistance qui ne lui autorisa qu'un rapide coup d'œil inefficace pour rechercher sa cible avant de devoir sortir, par instinct de survie.

Michael assista à la scène, sans se retourner, en utilisant le reflet d'un miroir légèrement sur sa gauche en contrebas d'un escalier. Il lâcha un soupir de soulagement. Ce n'était pas passé loin cette fois.
Un homme passa sur sa droite et s'assit à son ancienne place. Sa position permettait à Michaël d'écouter leur conversation, il n'aurait certainement pas dû, mais le khajit semblait ne lui accorder aucune attention.

            — Tu voulais me voir Tiben ? demanda l'homme.
            — Il faut que l'on parle, et c'est important lui répondit le khajit d'une voix toujours aussi monocorde.
            — Je vois que tu as déjà commandé les boissons, tu sais recevoir, à défaut d'être humain tu as quand même quelques unes de nos qualités.

Tiben ne releva pas l'affront et enchaina.

            — Tu as détourné et volé des marchandises il y a deux jours, sur la route de Druceis. Dont un coffre en particulier. La personne a qui il appartiennent veut le récupérer, lui et ce qu'il contenait.
            — Celui a qui il appartenait tu veux dire, parce que désormais il s'agit de mes possessions, et de toute façon, je l'ai déjà donné à mon commanditaire. Je n'aime pas que tu me fasses venir pour ça, surtout que tu es plutôt mal placé pour jouer les justiciers.
            — Je n'ai pas de temps à perdre, nous faisons tous des erreurs, et je ne critique pas tes actes, mais cette fois ci, je me vois dans l'obligation de te demander au moins qui est ton commanditaire, que je vois cela avec lui.
            — Tu veux le nom de mon commanditaire ? Tu m'as pris pour qui ? Un homme de foi ? Ecoute moi bien le félin, je vole, je pille, et toi tu ne vaux pas mieux que moi, je te connais depuis longtemps et c'est pour ça que je ne t'ai pas encore ouvert la gorge en deux, maintenant lâche moi avec cette histoire avant que ma patience ne cède et que je me fasse greffer tes moustaches en guise de sourcils.

Tiben ne répondit pas, il attrapa sa chope, mais la main de l'homme qui lui faisait face l'arrêta.

            — Je préfère ça, on va trinquer à ton culot mal placé, mais avant on va mélanger nos verres. Je n'ai plus confiance en toi depuis l'incident de Taos et ce n'est pas ton attitude aujourd'hui qui va changer ça.

L'homme attrapa les deux chopes, et versa un peu du contenu de celle de Tiben dans la sienne, avant de faire la manoeuvre inverse. Il réitéra deux fois.

            — En même temps, le khajit, ordonna t'il.

Accédant à sa demande, Tiben bût sa chope en même temps que lui.

Ils reposèrent les chopes, vides, sur la table et l'homme s'écria :
— Bon, je vais être gentil et oublier le coup que tu es en train de me faire, mais ne recommence plus jamais ce petit jeu avec moi.

A peine eut il terminé sa phrase qu'il tomba raide mort sur la table, les yeux grands ouverts.

            — Plus jamais, c'est promis, lui répondit Tiben.

Puis il se releva, mais sa jambe gauche ne le porta pas affaibli et Michaël, de manière reflexe, l'attrapa en pleine chute.

            — Amène moi à l'étage, chambre 21, s'il te plait humain, et je te paierai.

Michaël ne répondit pas, et s'exécuta. 
Chaque marche de l'escalier qui menait au chambre rappela à Michaël son gabarit fin et agile mais nullement basé sur la force musculaire. Personne ne l'aida, en fait, personne ne leur prêtait attention.
Tiben était de plus en plus lourd, et bientôt sa jambe droite puis le toute la partie basse de son corps ne le portaient plus. Heureusement ils étaient arrivés en haut de l'escalier.

Michaël réalisa qu'il allait devoir trainer le khajit au sol. L'espace d'un instant il se demanda s'il allait le tirer par les bras ou par la queue. Grand bien lui fit, se diront les khajits, il opta pour les bras.
Arrivé à la chambre 21, Michaël sentait que ses bras le brulaient. Il ouvrit la porte et tomba nez à nez avec une femme mi elfe mi humaine qui mélangeait des potions sur un petit bureau en bois.

            — Vous avez du vous tromper de chambre, dit elle, sans menace, sans colère.
            — Je... je ne sais pas, c'est lui qui m'a dit chambre 21, expliqua Michaël en montrant le corps étalé de Tiben dont la bouche laissait échapper un petit filet de bave mousseux.
            — Oh non, qu'est ce qu'il a fait encore ? demanda t'elle en s'approchant avant d'ajouter, déposez le sur le lit.

Michaël se demanda où il allait trouver la force de faire ça, mais accéda à la requête.

Une fois sur le lit, Tiben sembla reprendre un peu ses esprits.

            — Flu... Fluorette.
            — Oui, c'est moi, je ne sais pas comment tu fais ton compte, mais tu es fatiguant, sache le.

Puis elle se tourna vers Michaël.

            — Qu'est ce qui lui est arrivé ?
            — Je ne sais pas, il a bu dans sa chope, mais... du poison, il devait y avoir du poison.

Fluorette se pencha sur Tiben,  ouvrit sa bouche tant bien que mal, regarda ses canines, puis sa conjonctive. Elle prit son pouls, avant de se relever.

            — Bon, vous, comment vous appelez-vous ?
            — Michaël.
            — Parfait, alors, Michaël, vous allez lui maintenir la gueule ouverte, et que je vous le dirai vous la fermerez et vous mettrez les doigts dans son museau pour bloquer toute arrivée d'air.
            — Euh, d'accord.

Michaël s'exécuta au signal de Fluorette une fois que cette dernière eut versée une miction pâteuse et violette dans la gueule de Tiben.

Une fois la gueule fermée et le museau bouché,  Tiben eut un reflexe de déglutition.

            — Maintenant penchez le sur le coté, sur le bord du lit et mettez cette bassine juste devant lui, sur le sol.

Michaël le mit en position, mais à peine eut il le temps de mettre la bassine en place que Tiben se mit à vomir un demi litre d'un liquide vert et rouge, sans se réveiller.

            — Parfait. Maintenant nous n'avons plus qu'à attendre, lui signifia Fluorette.

**

                 Le bateau de Doc Arnica arriva sur une plage des plaines de la Félicité. Aucun cortège, aucune autre embarcation ne l'avait accompagné. Les couleurs des voiles du bateau à elles seules assuraient un voyage sans embuche. Aucun fou ne l'était assez pour oser s'attaquer à la gardienne suprême d'Yggdrasil.

Doc Arnica posa pied à terre et se dirigea vers l'homme à cheval qui était immobile depuis de longues minutes en haut de la dune qui faisait face au bateau.

Arrivée en haut, elle passa sa main sur le flanc du cheval qui ne broncha pas.

            — Merci d'être venu, dit elle.
            — Tu sais bien que je n'ai pas le choix, répondit le cavalier.
            — Ce n'est pas ce que je voulais dire, et tu le sais, ajouta t'elle.
            — Viens en aux faits. Tu n'es quasiment jamais sorti de ton sanctuaire, et lorsque tu demandes à me voir ce n'est jamais pour des bonnes nouvelles, ne trainons pas.
            — Bonnes, mauvaises nouvelles, tout est une question de point de vue, tu ne comprendras jamais cela.

L'homme ne répondit pas.

            — Ça commence, dit elle.

Un long silence s'en suivit. Puis l'homme descendit de son cheval et se dressa face à elle.

            — Tu en es sure ?
            — Oui, ma position ne permet pas l'incertitude.
            – Et que vas-tu faire ?
            — Moi rien, je suis simplement venu te prévenir, mais je ne peux rien faire de plus et tu le sais.
            — J'espère que tu n 'es pas sérieuse ? Tu vas garder ton éternelle neutralité même aujourd'hui ? Alors que l'équilibre même du monde va être remis en cause ?
            — Ce n'est pas à moi de décider, j'outrepasse probablement déjà mes prérogatives en venant te voir vu que je sais ce que tu vas tenter de faire.
            — Et si cela ne se termine pas de la bonne manière, tu vivras pour l'éternité dans le regret ? Couverte du sang de la lâcheté, c'est donc cela que tu veux ?
            — Je te le répète. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise manières. Tu es toujours dans le manichéisme, la dichotomie, le bien et le mal, mais cela n'est qu'une vue de l'esprit. Personne ne peut réellement juger ce qui est bien ou pas. Ni toi, ni moi, ni personne.
            — Il est facile ce discours pour toi. Toi qui ne te salis jamais les mains, toi qui penses que ne pas choisir est une possibilité. Laisse moi te dire que tu te trompes, ne pas choisir c'es aussi faire un choix, celui de la lâcheté.
            — Cette discussion a assez duré, ce qui devait être dit a été dit, je dois partir. A toi de voir ce que tu veux faire, je ne pourrais que guider ceux qui le voudront, sans distinction ni préférence et encore moins en me basant sur des critères arbitraires de jugement de valeur. Je ne changerais pas les règles de ce monde pour toi Christian Lehmann, ni pour toi, ni pour personne d'autre. Je savais que t'en parler n'était pas une bonne idée, mais si je l'ai fait c'est pour une seule raison.
            — Je t'écoute.
            — Il en fait parti.

Sur ces mots, elle se retourna. Christian n'avait pas répondu à sa dernière phrase. Mais son visage exprimait une certaine inquiétude.

Doc Arnica descendit la dune pour regagner son bateau. Christian resta immobile jusqu'à ce que le bateau s'efface sous l'horizon. Il savait que lorsqu'il monterait de nouveau sur son cheval ce serait pour entamer ce qui pourrait être sa dernière quête.