samedi 17 octobre 2015

Beethoven, biographie condensée, et œuvres selon les époques. (Partie 1/?)

Beethoven lui-même portait une veste d'une étoffe à longs poils gris foncé et un pantalon de même, de sorte qu'il me fit penser toute de suite à l'image de Robinson Crusoé de Campe, que je lisai alors. Ses cheveux noirs comme de la poix, coupés à la Titus, de répandaient autour de sa tête. Sa barbe, vieille de plusieurs jours, rendait encore plus noire la partie inférieure de son visage déjà brun sans cela. Avec le regard rapide habituel aux enfants, je remarquai tout de suite qu'il avait du coton dans les oreilles, qui semblaient humides d'un liquide jaunâtre.  Ferdinand Ries.

17 décembre 1770, Ludwig Van Beethoven vient au monde à Bonn, dans une Allemagne sans cohésion politique, qui n'est qu'un amas d'une multitude de petits états. Bonn dépend à cette époque directement de la gouvernance de Vienne, siège du Saint Empire germanique et résidence des Habsbourg. Portant le même prénom que son grand père paternel, qui jouissait dans la région d'une renommée via ses qualités musicales,  ce qui n'est pas vraiment le cas de son fils, le père de Ludwig (vous suivez ?),  qui est plutôt connu pour son amour inconditionnel pour la boisson. Il épousera Maria Magdalena Keverich, fille d'un chef cuisinier, reniée par Ludwig (le grand père), avant du'une bénédiction tardive ne vienne apaiser les rancoeurs. Maria Magdalena est souvent décrite comme une personne calme, douce, patiente, la majorité du temps, mais capable de sautes d'humeur remarquables à faire trembler les piliers de la Création. De par ses échanges épistolaires, on devine que son mariage n'est pas pour elle une réussite, décrivant souvent le célibat comme une source de vie tranquille et agréable en opposition au mariage qui selon elle est porteur de chagrin.

Ludwig sera le deuxième enfant du couple, le premier se prénommant aussi Ludwig mais étant mort à l'âge de 4 jours. Au total, Ludwig aurait été le membre d'une fratrie de sept enfants, mais seuls lui et deux de ses frères survivront jusqu'à l'âge adulte.

Il n'existe que peu de documents relatant l'enfant de Ludwig, mais l'on sait que la mort de son grand père et homonyme, alors qu'il n'avait que 3 ans l'affecta profondément.

Son père prétendant que Ludwig n'apprendra rien d'utile à l'école, il ne s'y rendra que peu, ce qui générera chez lui, et cela jusqu'à sa mort, des lacunes  importante en arithmétique et en grammaire.
Mais pour Johann, le plus important est que son fils se consacre à la musique. Dès l'âge de trois ans, il passera la majorité de ses journées devant un pianoforte (le piano n'existant pas encore sous sa forme actuelle à l'époque). Son apprentissage commencera alors sous les coups impulsifs de son père pour lui faire payer la moindre erreur de doigté. Dans un élan de cupidité, il ira jusqu'à rajeunir de deux ans l'âge de son fils lors de ses concerts pour rappeler la précocité d'un certain Mozart. Ludwig finira par découvrir son vraie âge que des années plus tard.

Sa première présentation publique aurait-eu lieu le 26 mars 1778 à Cologne comme l'atteste des documents écrit par Johann pour faire la publicité de cet événement.

L'échec fut massif. Johann, blessé dans son orgueil mais un minimum lucide, confiera alors la suite de l'éducation musicale de son fils à Tobias Pfeiffer, musicien ambulant et compagnon de boisson de Johann. Cela durera jusqu'à 1780 et le départ de Tobias, la relève fut assuré pendant 2 ans par un organiste, Egidius van den Eeden, sa mort l'empêchant de continuer.

En 1781, Ludwig entamera, cette fois accompagné de sa mère, une tournée en Hollande, qui n'eut toujours pas le succès escompté. Ludwig dira dès lors des hollandais qu'ils sont des "grippes-sous" et refusera de retourner dans ce pays.

C'est en 1782 que l'éducation musicale de Ludwig prend une tournure décisive. Christian Gottlieb Neefe, nouvel organiste de la cour, accepte d'en faire son élève. La culture de Neefe sera un vraie tremplin pour Ludwig qui découvrira entre autres Shakespeare et Schiller auteur d'un certain poème, l'Ode à la joie qui sera repris par Ludwig bien des années plus tard pour le final de son ultime symphonie.

Cette même année, il rencontrera Franz-Gerhard Wegeler, qui se destine à devenir médecin, et qui sera l'ami le plus constant et le plus fidèle du compositeur, jusqu'à sa mort.
Grâce à Wegeler, Ludwig rencontre la famille Breuning, noble, bercée dans les arts et chez qui Beethoven sera vite considéré comme un fils d'adoption.

1783, alors agé de 13 ans, et poussé par Neefe qui estime qu'un cap doit être franchi, Ludwig joue sa première oeuvre personnelle, les 9 variations pour clavecin en ut mineur. La dextérité nécessaire pour jouer cette oeuvre laisse présager du génie de ce jeune enfant.

Sur sa lancée, dès le début de l'année 1784, Beethoven  se propose pour le poste d'organiste adjoint de la cour, mais celui lui est refusé par l'archiduc Maximilien Frédéric. Mais ce dernier meurt quelques semaines plus tard, et son remplaçant, Maximilien Franz, sera lui plus enclin à accepter la requête du jeune compositeur. Ludwig recoit alors son premier salaire fixe de 150 florins par an, tandis que son père, dont l'éthylisme nuit gravement à son travail se voit lui retirer 15 florins par an. Ludwig se retrouve alors premier garant financier de la famille Beethoven.

1784 se poursuit, et Beethoven compose son concerto n°0 pour piano. A cette époque, Beethoven est plus connu en tant que pianiste virtuose qu'en tant que compositeur d'avenir, ses trois premiers quatuors avec piano, Neefe décidera même de ne pas les publier, ils ne le seront qu'après la mort de Beethoven. Cette même année, Beethoven fera la connaissance du comte Ferdinand Waldstein, ami intime de Maximilien Franz. La rencontre se fait chez les Breuning. Il financera le très relaté voyage qui amènera à la seule rencontre entre Ludwig van Beethoven, âgé de 17 ans et Wolgang Amadeus Mozart, âgé de 28 ans. il y a tant de on-dit sur cette rencontre qu'il est quasiment impossible de démêler le vrai du faux, mais la majorité des historiens s'accordent pour dire que rien de particulier, aucun échange majeur ou mémorable n'eut lieu au décours de cette rencontre. Le retour à Bonn se fera dans la tristesse, sa mère meurt le 17 juillet d'une hémoptysie importante sur une tubeculose. Beethoven en gardere la manie de scruter systématiquement le moindre de ses crachats pour y déceler des traces de sang. Suite à cet événement, son père tombera encore plus dans l'alcoolisme et la vie à la maison en devient d'autant plus difficile. En 1789, Ludwig fait alors les démarches auprès de l'Electeur pour accélérer son émancipation, le salaire de son père lui est alors transféré, mais Ludwig cèdera peu de temps après aux pleurnicheries de son père et acceptera de revenir sur sa décision. Après avoir quelques peu délaissé la compisition, il s'y replongera dès 1790 et écrira sa première musique pour ballet, le Ritterballet, sur la commande du comte Waldstein qui s'en attribuera la paternité avant que bien plus tard les historiens ne corrigent ce forfait.


1790, l'empereur Joseph II, mélomane reconnu,  meurt. Beethoven écrit alors la Cantate sur la mort de Joseph II, sur commande de la cour, mais l'oeuvre s'avère trop difficile à jouer et il faudra attendre 1884 pour l'entendre pour la première fois. En cette époque charnière dans l'évolution de l'Europe, Beethoven se reconnait dans les idées révolutionnaires qui viennent de France, à cette même époque, il découvre la philosophie de Kant et n'y reste pas indifférent. La fin de l'année 1790 arrive, et Beethoven éprouve une tendresse plus qu'amicale envers la seconde fille des Breuning, Eleonore, qui appelera "Lorchen". Eleonore  qui ne partage elle que de l'amitié avec Beethoven, épousera, plus tard Wegeler. 

Ainsi commencent les terribles mésaventures amoureuses de Beethoven, véritable fil rouge de sa vie.

jeudi 15 octobre 2015

11 ans de médecine. Et ce n'était que l'incipit.

Et c'est tout ? C'est comme ça que ça se termine ? Après 11 ans ?

La fin de l'internat, la fin des études de médecine. Cela a commencé en Octobre 2004, tout jeune bachelier, avec la mention "cul bordé de nouilles" de mon bac à 10.02/20, débarquant sur les bancs de la fac, sans avoir la moindre idée d'où je mettais les pieds, pas la moindre. Pourquoi j'ai pris médecine au début ? Je n'aime pas cette question, parce que pour être franc je n'en sais rien. Ce n'était pas par vocation, ni par pression parentale. J'ai au contraire été élevé avec l'idée que ma famille serait fière de moi que je sois peintre en bâtiment, banquier, médecin, sculpteur sur brebis, du moment que je faisais un métier que j'aimais. J'ai beau y repenser, retourner ça dans tous les sens, je ne sais pas pourquoi j'ai choisi la médecine. L'aiguille de la roue du pifomètre indiquait un caducée, c'est tout ce que je peux dire.

La P1 est arrivée comme une claque, largué au milieu d'un millier d'autres étudiants, tous anonymes, tous en compétition, je n'avais personne derrière moi pour m'engueuler quand je ne révisais pas assez, quand je prenais les choses à la légère, quand je la jouais comme en terminale et comme toujours jusque là en me disant que mon minimum serait suffisant. La réalité m'a mis une claque, après un crochet du droit et un coup de pied dans les côtes. 800 et quelques sur un peu plus de mille, voilà ce que j'ai récolté comme classement avec mon "minimum suffisant".

Alors il a fallu recommencer, parce qu'après tout on a droit à deux chances, alors ne pas la tenter c'est comme ne gratter que la moitié d'un banco. Et là je me suis dit que j'aimais les cours, que c'était intéressant, d'apprendre, tous les jours, de me coucher tous les soirs avec plus de connaissances qu'en me levant le matin, que ce serait pas mal de voir ce que je vaux quand je travaille sérieusement. C'était une question de rythme, d'hygiène de vie. Le concours du 1er semestre est arrivé et une nouvelle claque, 226ème, et 153 places de médecine à la fin. Il allait falloir faire plus. D'autant que je m'en souvienne, je n'ai jamais douté. Ce qui ne me ressemble pas. Mais pour le coup, c'est comme si j'avais su que ça allait le faire. Et ça l'a fait. J'ai gagné 100 places tout rond. Je me revois devant le "*26" à coté de mon nom, et le chiffre de centaines caché par la feuille de gauche, le "1" qui est apparu quand je l'ai soulevé, puis l'euphorie. Je me souviens d'avoir appelé ma mère et de lui avoir dit très exactement : "Maman, ton fils sera médecin".

Le plus dur était derrière moi. Du moins c'est ce que je croyais, parce que tout ce que je savais à cette époque c'était que la P1 était dure et qu'après il y avait une voire deux années détentes pour s'en remettre, faire la fête, boire, s'amuser, mais la suite m'était inconnue.
La suite je l'ai vu arriver en parlant avec les années supérieures durant ma P2 et ma D1 dont je n'ai que peu de souvenirs.

Et l'externat a débuté. Les stages le matin, les gardes, les astreintes, et les bouquins d'ECN avec leurs saleté de mots clés. Je n'ai pas vu la marche. Je suis tombé. Encore une fois. J'ai redoublé ma D2 parce qu'il fallait de nouveau travailler et je ne l'avais tout simplement pas fait. Action, réaction.
La deuxième D2 est arrivée, la peur de tripler m'a poussé à travailler, mais comme à mon habitude, le minimum, qui cette fois s'est avéré suffisant. La D3 a été du même acabit, à travailler sans y mettre toute l'énergie qu'il aurait fallu, à appendre des listes sans les comprendre, à mettre du stabylo sur des mots que je croyais important sans les inclure dans un ensemble, sans apprendre à réfléchir devant un dossier.

Les stages me montraient doucement mais surement que je n'aimais pas l'hopital. Tous les gouts sont dans la nature. De mon coté, le chariot de dossier, l'ordinateur sur socle à roulette, la pseudo équipe hospitalière, tout me rebutait. Je reconnais peut être ne pas avoir donné le meilleur de moi pour y voir du positif. Mais ma vision était déjà là. Les stages s'enchainaient, tous intéressants mais sans coup de cœur, sans révélation, sans vocation. La chirurgie s'est vite avérée être ma nemesis. Mon taux de gaffe à la minute, de déstérilisation, frisait le pathologique. Aujourd'hui encore, de repenser à ce champ stérile, ce luminaire agressif, cette odeur de tissu cautérisé, cette anatomie à laquelle je ne comprenais rien, cette instabilité émotionnelle, cette violence gratuite, pas seulement envers moi, ces larmes en cachette dans les toilettes du service, tout cela crée encore chez moi un malaise profond.
En dehors des stages, et des gardes, qui empêchent complètement d'avoir un rythme de vie correct, il fallait continuer de travailler, de réviser. Au départ sur l'idée de faire le strict nécessaire, puis devant de premiers résultats catastrophiques, par peur de ne pas pouvoir rester sur Paris au moment des choix, et finalement un jour j'ai commencé à travailler pour moi, pas pour ma note à l'ECN, pas pour mon classement, juste pour moi, et mes futurs patients. Parce qu'un zéro à un dossier ça peut être une erreur médicale aux conséquences gravissimes dans la vraie vie. Parce qu'il fallait aussi que j'apprenne à être médecin. Parce que chaque jour en stage des gens me confiaient leur corps, leurs secrets, leurs angoisses, leurs espoirs, leur intimité, parfois sans le dire. Ils ne me connaissaient pas, ils ne le faisaient pas pour moi, ils le faisaient parce que je portais une blouse, et ils le faisaient pour eux parce qu'ils voulaient que je fasse partie du processus qui devait leur permettre d'aller mieux, ce processus qui passait par le chef de service, la femme de ménage, le praticien attaché, l'infirmière, l'aide-soignante, l'interne, le brancardier, moi et tellement d'autres personnes.

Alors il fallait que je travaille, pour être digne de cette confiance implicite qu'il y avait entre eux et moi.

L'ECN est arrivé, vite, tellement vite. 9 dossiers, un sujet de LCA, 3 jours, et voila plus de 8000 étudiants que l'on va classer selon leur note totale. Un classement qui définira leur spécialité, leur lieu d'internat, mais qui n'a aucune autre signification.

J'ai eu de la chance. En fait, je crois que j'en ai toujours eu quand il le fallait. Et mon classement fut inesperé. Pour avoir travaillé sérieusement une seule année sur les 4 de mon externat (2 ans en D2), je n'aurai jamais pu imaginer ce classement.

J'ai donc choisi la médecine générale à Paris. Pourquoi la médecine générale ? Parce que tout me plaisait mais je n'aimais rien assez profondément pour être prêt à le faire de manière exclusive, alors j'ai choisi la grande inconnue. Je n'étais jamais passé en stage ambulatoire, du cabinet médical je ne connaissais que le coté patient de la table du médecin. Je ne connaissais même pas les différents débouchés possibles de la médecine générale, autres que la pratique en cabinet de ville.
Pourquoi Paris ? Parce que j'y vivais, que je n'avais pas le permis (toujours pas à ce jour), et que je ne me voyais pas partir loin de ma famille et de ma compagne.

L'internat a débuté, 5 mois après rendu ma copie de LCA. 5 mois c'est suffisant pour tout oublier. Alors on repart à zéro. Nouvelle expérience, nouveau rôle dans la prise en charge du médecin. J'allais devenir celui qui me faisait faire des ECG, celui qui m'apprenait des moyens mnémotechniques, celui qui m'expliquait sans mots-clés des symptômes et des maladies pour rendre justement l'apprentissage de ces mots-clés beaucoup plus facile, celui qui me couvrait quand il fallait présenter un dossier au big boss à la visite alors que je ne comprenais rien à sa pathologie.

Pour ce qui est de l'internat, le résumé serait impossible. Tout ce qui concerne mes stages hospitaliers a déjà été raconté sur ce blog. Pour ce qui est de l'ambulatoire, c'est une autre histoire.
J'ai attendu mon 4ème semestre pour faire de la médecine générale en cabinet. C'était l'été 2014. 10 ans après avoir commencé la médecine. Aberrant. Un putain de pari. Et si ça ne me plaisait pas ? Et si ça se passait mal ? Et si mon maitre de stage ne me faisait pas aimer son métier ? Qu'est ce que j'allais faire ?

Heureusement le doute fut vite dissipé. Mon stage chez le praticien s'est divisé en 3 parties, observation, supervision directe, supervision indirecte. Au départ, assis du même coté du bureau que ma prat', j'assistais à la consultation, avec comme consigne de sa part d'intervenir en posant mes questions ou en répondant à celles du patient que je le souhaitais. J'ai appris à voir les patients autrement. Ils n'étaient plus des malades avec une blouse d’hôpital qui ne couvre pas les fesses, allongés une partie de la journée, à attendre que l'on vienne les voir, les examiner, leur expliquer le programme de la semaine (lundi anesthésiste, mardi échographie cardiaque, mercredi radiographie du thorax, jeudi coloscopie, vendredi sortie). Non, ils étaient certes des patients, mais ils sortaient du travail, ils y retournaient après, ils venaient avec leur(s) enfant(s) parce que personne d'autre ne pouvait s'en occuper, ils étaient garés en double file devant le cabinet, ils partaient en Asie pour 6 mois dans 3 jours, ils n'avaient pas pris leurs médicaments parce qu'ils n'avaient plus envie, ils ne pouvaient pas aller travailler avec une diarrhée pareille, ils devaient être en bonne santé dans 10 jours parce que c'était le mariage de leur fille, parfois même ils n'avaient rien, ils venaient juste pour parler, de tout, de rien.

Les consultations s’enchaînaient. En une journée on pouvait passer du suivi du patient parkinsonien avec des vomissements depuis 2 jours, à un suivi de grossesse, un examen des 9 mois chez un enfant, une patient en détresse psychologique sur épuisement professionnel, une aménorrhée secondaire depuis 3 mois chez une patiente de 25 ans, un patient en sevrage alcoolique avec une cirrhose stable, un couple homosexuel tous les deux suivi pour leur VIH et j'en passe. Alors oui, il y avait certes des rhumes, des renouvellements d'ordonnance, des constipations, mais ce n'était qu'un tout petit ratio des consultations et cela était toujours l'occasion d'aller plus loin dans la relation médecin-patient, d'aller au delà du seul symptome et d'apprendre à voir le patient dans son ensemble. De mon coté, des tiroirs s'ouvraient quand la consultation avançait, des tiroirs importants, mais pas suffisant, on me disait AVK, je pensais INR, on me disait BPCO, je pensais EFR, on me disait vacances en Asie, je pensais vaccins. Et je voyais ma prat' qui ouvrait d'autres tiroirs, qui parlait de contraception et d'IST à l'adolescent qui venait juste pour son certificat pour le football, qui parlait famille, activité et échange social au papi qui venait juste pour sa bronchite trimestrielle, qui parlait libido à cette patiente qui venait pour brûlure mictionnelle.

J'ai vu des patients, revu des patients, et j'ai commencé à comprendre. Elle les connaissait depuis plusieurs années, et maintenant elle savait qu'une consultation en cache parfois une autre, elle savait qu'une seule question peut ouvrir des portes et permettre d'agir à temps, que parfois, pas toujours, mais parfois, il fallait voir au delà du motif de consultation, parce que chaque patient a une vie, une histoire, un passé, des projets, des angoisses, qu'il n'est pas qu'une liste de symptômes, de résultats d'examens et de traitements comme l'étaient mes cas cliniques pour l'ECN. Et surtout j'ai appris un élément indispensable de notre métier, la réassurance, autrement que par des bilans, des imageries ou des ordonnances, juste en discutant avec le patient, en lui expliquant ses symptômes, notre démarche de réflexion.

J'ai vu ce qu'était la médecine générale, et bordel qu'est ce que j'ai aimé ça.

Attention, je ne dis pas que cette interaction n'est possible qu'en médecine générale, et qu'ils sont les seuls à avoir ce rapport avec les patients. D'une, tous les médecins généralistes ne partagent pas cette vision de la consultation, et ensuite, il y a des spécialistes en libéral et à l’hôpital qui arrivent à créer ce lien. Ce que je dis plus haut c'est que jusque là je n'avais jamais connu la médecine de ce point vue et de savoir que l'on pouvait pratiquer cette médecine, cela a été pour moi une de mes plus belles révélations.

Alors j'ai remis ça, une fois de plus, en SASPAS, pour mon dernier semestre. Pour apprendre encore. Parce que je n'en avais pas vu assez. Parce que je ne me sentais pas prêt à me lancer dans l'expérience de la médecine générale en cabinet sans y être retourné avec une supervision, encore une fois, une toute dernière fois.

J'ai eu ma salle de consultation, mon bureau, mon ordinateur, ma table de consultation, mon planning. Mais il y avait encore un filet en dessous, pour continuer à avancer mais avec sécurité.
J'ai commencé à appliquer ce que j'avais vu, puis les jours s’enchaînant, j'ai commencé à voir ce que je modelais à ma sauce, l'approche de la consultation à ma manière, sortir du mimétisme pour commencer à faire ma pratique de la médecine générale. J'ai découvert que je ne pouvais pas voir un patient en 15 minutes, la majorité du temps, je ne dis pas que cela est impossible, simplement que moi j'en suis incapable. J'ai découvert ce que cela faisait, quand seul, en tête à tête, on nous répond "oui" à la question "Avez-vous déjà été victime de violence physique ou sexuelle ?", j'ai découvert ce que cela faisait quand quelqu'un s'énervait devant nous sur une divergence d'opinion vis à vis d'une prise en charge, j'ai découvert ce que cela faisait de se retrouver seul devant un patient avec ses plaintes, sans qu'aucun tableau diagnostic ne se dessine, sans avoir la moindre idée de par où commencer, quoi chercher, j'ai découvert ce que cela faisait d'annoncer un cancer, de devoir d'abord rappeler le patient par téléphone pour lui prendre un rendez-vous rapide sans pouvoir lui en dire plus, de suivre un début de grossesse chez une femme qui essayait depuis 3 ans, son sourire quand elle est venue au cabinet juste pour me l'annoncer, de recevoir ce patient à première vue repoussant, mal odorant, sale, désagréable et de se dire que derrière mon dégoût, mon agacement, il y avait en fait une détresse. Et il y a eu tellement d'autres choses.

Et cela va continuer. Différemment, ailleurs, en tant que remplaçant, avec de nouveaux patients, de nouvelles histoires, de nouvelles peurs, de nouvelles questions, de nouvelles aventures.

Et c'est tout ? C'est comme ça que ça se termine ? Après 11 ans ?

Non, au contraire, c'est comme ça que ça commence. Devant l'inconnu, devant la richesse incalculable de l'humain, devant son imprévisibilité, devant sa complexité.

Je n'ai pas fini d'apprendre, je ne fais que commencer, je vais tomber, me relever, me tromper, une fois, deux fois, dix fois, et parfois j'aurai bon, j'aurai visé juste, parce que je suis humain, parce que mes patients le sont.

Et j'aime ça.

samedi 26 septembre 2015

Rifampicine

L'internat de médecine générale, 3 années d'histoires, joyeuses,  tristes,  belles, affreuses. C'est impressionnant toutes les émotions, positives et négatives que le contact quotidien avec l'Homme malade peut engendrer. Que ce soit physique ou psychique, l'humain est fragile devant la maladie. C'est ce qui fait que le rapport à l'humain est si particulier dans les métiers de la santé. En juste trois années d'internat, j'ai vécu des montagnes russes d'émotions, car qu'on le veuille ou non chaque patient a un impact sur nous, direct,  indirect,  instantané,  à retard,  que ce soit dans notre approche de la relation medecin-malade, notre perception du métier médical, nos démarches diagnostiques et de prise en charge. Rien n'est anodin, rien n'est insipide. Et je pense sincèrement que celui qui se renferme sur sa pratique et ses émotions, par peur, par sécurité, ou autre, perd l'un des plus cadeaux que peuvent offrir les métiers de la santé.

De toutes ces histoires qui me reviennent quand je repense à ces 3 années,  il y en a une qui me revient sans cesse, qui ne me quitte pas. Je n'ai pas la mémoire de noms et des visages mais son nom et son visage sont gravés dans ma tête.

C’était un samedi, ensoleillé, un des premiers. Un des premiers samedi calme du semestre, alors que les épidémies de bronchiolites et de gastro’ n’étaient plus que des souvenirs avec quelques réminiscences éparpillées, et que les motifs de consultation devenaient bien plus variés.
Même si la fréquentation des urgences était vraiment moindre depuis quelques jours, la fatigue accumulée du semestre d’hiver aux urgences pédiatriques avait laissé des marques. Le nombre de passage quotidien, le peu de jour de repos, le fait de devoir accumuler ses jours de repos pour avoir des « vacances » qui rend le bénéfice des dites vacances bien conceptuel, l’angoisse des parents de voir leur enfant malade qui amène à l’agacement, à la colère, à la violence physique et verbale. Parce que se faire traiter de « fainéant » par un père à 4h du matin, alors qu’on n’a pris 20 minutes de pause pour manger depuis 8h du matin, sous prétexte qu’il a attendu 3h avant qu’un médecin ne voit son fils de 5 ans avec une rhino-pharyngite, ça ne pousse pas à la philanthropie. Je conçois l’attente, l’angoisse de la maladie, la peur pour son enfant, l’imagination du pire parce que la télé, parce que internet, parce que les discussions entre amis sur des histoires tragiques. Mais tout en comprenant la genèse de cette agressivité, je ne l’excuse pas. Alors oui, toi, le père qui a attendu 3h, pour être venu à 1h du matin parce que ton fils a pleuré parce qu’il ne pouvait plus respirer par le nez, toi qui ne lui a même pas pris de température à la maison, qui vient aux urgences sans même lui avoir donné du doliprane, sans même avoir essayé de le moucher, sache que plus tu attends, plus il y a de chance que tu repartes avec du paracétamol et un lavage de nez sur l’ordonnance. Et oui, tu auras ruiné ta nuit toi qui « travaille [moi] demain, monsieur ! » sache que tu es selon moi irrécupérable et que ton agressivité ne va pas faire que ton enfant sera vu plus vite et ne me donnera surement pas envie de le prendre en charge avec toute l’attention et l’application qu’il le faudrait. Tu ne rends service à personne, ni à toi, ni à ton enfant, ni aux autres patients, ni aux urgences.

Certes, le rush de l’hiver était passé mais fort heureusement pour ne pas perdre mes repères l’un des deux chefs qui était posté ce jour était, et est toujours, un branquignole de la médecine. Qui n’a jamais connu ce médecin qui ne voit quasiment pas de patient, qui se logue en secret sur des dossiers pour que son nom apparaisse au cas où quelqu’un chercherait à quantifier son activité, ce médecin qui fait que tu préfères finir une heure plus tard et clôturer tes dossiers plutôt que de les lui transmettre, par respect pour le patient, ce même médecin qui te fait des transmissions ingérables pour partir à la seconde près de l’horaire définie comme fin de son service. Merci la ponction lombaire sur un nourrisson d’un mois alors que la maman ne sait pas qui je suis, merci pour la « constipation, je lui prescris un lavement et tu pourras la faire sortir » qui en fait est un purpura rhumatoïde, certes dur à voir puisqu’il aurait fallu examiner l’enfant pour remarquer cette inratable éruption cutanée sur toutes les longueurs de ses jambes, et pire il aurait fallu interroger la mère pour apprendre l’existence de douleurs articulaires associées. Maintenant vous voyez de quel médecin je parle ? Parce qu’on en a tous connu un, minimum.

Il y avait donc lui que nous appelerons Dr Snake en hommùage à sa capacité de dissimulation au travail, et un autre médecin, plutôt discret et efficace, peu bavard mais très compétent que nous appelerons Dr Calme.
C’est ce samedi là, qu’Andrea (il ne s’agit bien sur pas de son vrai prénom). a été amenée par ses parents aux urgences. Agée de 15 mois, sans antécédents, elle avait présenté au réveil une importante diarrhée et un pic de fièvre à 40° sans frisson, ses parents lui avaient alors donné du paracétamol, vers midi, la fièvre ne baissant toujours pas, ils avaient donnés une deuxième dose, et deux heures après, ne voyant toujours pas d’amélioration décidaient de l’emmener aux urgences pédiatriques. Une prise en charge logique et intelligente.

Andrea arrive aux urgences vers 14h, elle est enregistré à 14h03 à l’accueil et vu par l’IAO à 14h15. Sa température est effectivement de 40.2°, et elle est inscrite pour « diarrhée fébrile depuis ce jour ». Ce samedi était vraiment calme car je l’appelle en salle d’attente à 14h30.
A ce moment de la journée, j’avais encore deux autres patients en cours de prise en charge, une jeune patiente de 8 ans adressée par son médecin traitant pour suspicion de diabète devant une perte de poids importante récente et une polyurie, et un patient 12 ans, autiste, amené par sa mère car devenu violent dans la matinée envers son frère et sa sœur. Je me souviens de ce patient, il n’y avait qu’un seul moyen de le calmer, c’était de lui mettre un clip du Colonel Reyel, ma prise en charge avait dont été de demander à la maman de mettre une playlist de Colonel Reyel sur son téléphone en attendant qu’on sache quoi faire pour soulager les impulsions violentes de son fils. J’attendais aussi avec crainte les résultats du bilan de la patiente de 8 ans.

Je me revois accompagner Andrea et ses parents dans le box de consultation, elle ne faisait pas un bruit, ne pleurait pas, ne criait pas, elle était amorphe. Une fois dans le box, j’entamais la consultation, antécédents, histoire de la maladie. Les parents avaient oubliés de prendre le carnet de santé, ce qui est finalement assez fréquent aux urgences pédiatriques. J’examine alors Andrea, devant ses parents, calme eux aussi, souriants. Elle était tachycarde mais sa tension était bonne, elle était pâle, presque jaune. Elle ne se plaignait d’aucune douleur. Sa gorge était propre, ses tympans étaient normaux, je n’avais pas de ganglion, son ventre était souple, non douloureux, elle ne répondait pas à mes questions, surement trop fatiguée par la fièvre, mais elle faisait bien ce que je lui demandais, elle se redressait pour l’auscultation pulmonaire, elle relacha bien sa tête pour que j’atteste que sa nuque était souple, et elle arrive même à détendre ses jambes pour que je puisse prendre ses reflexes.
Je partais sur une simple gastro’, certes un peu coltinée, mais du doliprane, du repos, une alimentation adaptée et tout ira bien.

Il y a eu un détail, un seul détail qui a attiré mon attention. Deux petits points rouges dans le creux de son coude gauche, deux petits points rouges de 3mm ne s’effaçant pas à la vitropression. Non je devais me tromper, je m’enflamme toujours pour rien, et en plus de 5 mois aux urgences j’ai eu le chance de ne jamais avoir de cas graves, alors je ne marche pas.
Mais quand même, cela m’embête. Je décide d’appeler Dr Snake pour lui demander son avis car Dr Calme était en pause déjeuner. Mais le téléphone de Dr Snake ne répondait pas, pour être exact il ne sonnait pas du tout. J’allais donc le chercher de box en box, mais je ne le trouvais nulle part. Finalement je tombais sur une co-interne qui passait dans le couloir. Je lui demandais son avis. Elle fut tout aussi dubitative que moi, que 2 points rouges, pas de raideur de nuque, non on ne va pas s’enflammer comme ça, sinon on ne s’en sortait plus aux urgences. Mais elle n’arrive pas à trancher complètement, le calme, l’apathie d’Andrea était quand même marqué et son teint qui virait aux jaunes ne pouvait pas être seulement dû à la nausée. Fort heureusement en sortant du box pour en discuter nous croisons Dr Calme qui revenait de sa pause déjeuner.
Longuement circonspect devant ses points rouges il décide finalement que nous allons la déplacer en salle de déchocage et demander l’avis du réa, quitte à en faire trop, mais ne prenons aucun risque.
Le réa arrive en moins de 5 minutes au déchocage, même interrogatoire, mêmes réponses, nouvelle prise de la tension en salle de déchocage, moins bonne qu’à l’arrivée et dans mon box. Il regarde longuement les points rouges. Dans le doute je les avais entourés dès le départ, ils n’avaient pas bougés, et aucune autre apparition. Il explique calmement aux parents que dans le doute il préfère la garder en réa pour la surveiller et la réhydrater. Une fois l’idée en tête, le choix n’est plus permis, nous injectons une dose de ceftriaxone en IV, il est 15h15. Cinq minutes après Andrea part en réa avec ses parents, et la vie reprend son cours aux urgences.
Je suis quand même inquiet, je n’y crois pas trop mais je me dis « au pire si c’est ça, elle a reçu les antibiotiques, elle est en réa, tout ira bien ».
D’autres patients arrivent, mon patient autiste devient de plus en plus agressif, il faut lui administrer de l’atarax pour réussir à le calmer, ma patiente de 8 ans est belle et bien diabétique et je dois aller l’annoncer à elle et à sa mère, cette journée ne me plait définitivement pas.
Les chefs de garde arrivent pour la relève, ils ont vent de l’histoire d’Andrea et l’un deux, notant mon angoisse à l’évocation de cette histoire tente de me rassurer « Elle était surement très déshydratée sur sa gastro, ne t’inquiète pas ».

Avant de partir des urgences, je décide de passer en réa prendre de ses nouvelles. J’arrive dans le long couloir de la réa et demande à une infirmière « Vous savez où est la chambre d’Andrea, qui est arrivée des urgences cet après midi ? », elle me répond « C’est celle au fond, mais vous ne pouvez pas y aller, tous les médecins sont dedans ». Je lui demande alors pourquoi, et elle m’apprend qu’à son arrivée en réa Andrea a fulminée en moins de 5 minutes, de la tête au pied et qu’ils sont en train d’essayer de l’intuber.
Je suis abasourdi, je n’y crois pas, ça ne peut pas être possible. Je regarde cette chambre, les volets sont tirés mais l’agitation qui s’y passe se devine aisément. Acceptant mon impuissance à ce moment précis, je décide de partir. En chemin je croise une des chefs des urgences, de garde au SAMU ce jour là, qui me demande mon numéro de téléphone, prend le mien et me dit de ne pas hésiter à l’appeler et qu’elle me tiendra au courant de l’évolution de l’état de santé d’Andrea.

Je rentre, presque de manière automatique, sans vraiment réaliser le trajet.

Vers minuit, n’arrivant pas à trouver le sommeil, j’appelle la chef des urgences, elle m’apprend qu’Andrea venait de se faire poser un KT central et qu’elle était hémodialysée depuis une heure. Elle me dit que je ne peux rien faire de plus et me suggère d’essayer de trouver le sommeil en attendant demain.
Cette nuit fut longue. Mais le matin s’imposa, et je repartais pour une nouvelle journée aux urgences. J’attendais devant la salle du staff des urgences que les médecins de garde arrivent pour faire les transmissions. Cette salle était juste  à coté de l’entrée de la réa.
Un infirmier de réa en sortit, l’air dépité, se s’adossa contre le mur. Je lui demandais « Vous auriez des nouvelles d’Andrea ? »
« Elle vient de mourir, il y a 5 minutes, on était avec elle toute la nuit ».
Sa réponse fut terrible, elle fut comme un coup de poignard, au fond de moi je savais que cela pouvait arriver mais j’étais dans le déni le plus total. Je suis ressorti dehors de manière machinale, et j’ai pleuré, pendant 10 interminables minutes. Ne trouvant ni explication, ni logique, je ne comprenais pas, ça ne pouvait pas être arrivé. C’était impossible. Elle avait eu les antibiotiques, elle était en réa. Mais PUTAIN ELLE AVAIT 15 MOIS, ON NE MEURT PAS A CAUSE D’UNE INFECTION BACTERIENNE A 15 MOIS !
Je n’ai pas pu travailler correctement ce jour là. Un chef me fit une ordonnance de rifampicine. J’ai pris cette rifampicine pendant 2 semaines, beaucoup plus que ce qu’il aurait fallu pour mon antibioprophylaxie, mais je ne pouvais m’en empêcher, c’était presque une prise médicamenteuse expiatoire.

Quelques jours plus tard, voyant que je n’arrivais pas à passer à autre chose, un de mes chefs contacta le chef de réa qui était de garde la nuit où Andrea est morte. Il fallait que je le vois, je voulais savoir exactement tout ce qui s’était passé cette nuit. Il m’expliqua tout, quand elle fulmina, l’intubation, sa kaliémie qui était monté à 10, ses 8 arrêts cardiaques. 8 arrêts cardiaques ! Avec les parents qui étaient présents, et qui après le 7ème arrets cardiaques avaient demandé l’arrêt des soins avec cette phrase que je n’oublierai jamais « la bactérie a emporté notre fille ».
Je n’ai jamais revu ses parents, la dernière fois que je les ai vu c’est quand Andrea est partie en réa. Je regrette de ne pas avoir pu m’excuser auprès d’eux, m’excuser de ne pas pu faire plus pour leur fille, m’excuser de ne pas avoir injecté moi-même la ceftriaxone sans réfléchir dès la vision des 2 points rouges.

Cette histoire ne m’a pas encore quitté. Il y a eu des réunions, on en a discuté entre nous, toute l’équipe soignante, la conclusion était la même, on n’aurait pas pu faire mieux. Mais ça je ne le saurai jamais, j’ai retourné cette journée mille fois dans ma tête et je ferai tout pour la revivre et tout faire plus vite, en mieux. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas revenir en arrière et enlever cette douleur incommensurable qu’on ressenti ses parents, la peur qu’à du avoir Andrea en comprenant que ça n’allait pas. Je ne peux rien faire. Tout ce qu’il me reste c’est ce sentiment que tout ça est injuste. C’est injuste.


Perseverare diabolicum

perseverare diabolicum. Voilà la locution dans son intégralité. « Errare humanum est, perseverare diabolicum » et on n’a tendance à facilement oublier cette partie. Etonnant non ?

Il y a un autre point de ce stage dont je n’ai pas parlé jusqu’à présent, les gardes. Ici les gardes se faisaient aux urgences. Et me voila revenu pour quelques gardes (une vingtaine sur le semestre) dans le stage de mes débuts. Dans l’ensemble elles se sont plutôt bien passées. C’était comme revoir une vieille connaissance, tu te souviens que tu ne pouvais pas la supporter de la voir tous les jours, mais de manière sporadique, une, deux, maximum trois fois par mois ça passe, ça te change un peu. Mais il y en a une que je n’oublierai pas. Je ne devais pas la faire initialement, mais je l’ai reprise à une de mes co-internes, contre un doublement de sa part de la paie de la garde, sans doute avait-elle senti venir le coup. De mon coté, je voyais juste que cela allait me permettre d’aller m’acheter une console de jeu en sortie de garde (chacun sa motivation). Après une journée de stage assez calme je partais donc gaiement en garde, la fleur au fusil, pensant à mes futures heures de jeux avec ma nouvelle console. Si j’avais vu le planning des urgences je serai surement arrivé moins souriant. Pour préserver leur anonymat j’appellerai les deux chefs qui étaient de gardes ce jour là, Magicarpe et Chenipan. Pour ceux qui connaissent un peu les jeux pokemon vous aurez compris la métaphore. Pour les autres, sachez que j’ai décidé de les appeler ainsi parce que je considère que dans leur forme actuelle, Magicarpe et Chenipan ne servent pas à grand-chose, mais que peut-être, avec assez de patience et quelques évolutions on peut arriver à quelque chose d’exploitable.

Je me retrouve donc en binome avec Magicarpe, tandis que l’externe de garde se retrouve avec Chenipan, et que l’autre interne de garde (celui qui est posté aux urgences en temps normal) se retrouve au tri, à la place qui était la mienne un an auparavant.

Magicarpe et Chenipan étaient connus comme le(s) loup(s) blanc(s). Leur difficulté chronique à se lever de leur chaise pour voir un patient était devenue légendaire. Certains disaient les avoir vu un jour dans une autre position qu’assise, mais peu de gens les croyaient.

Fidèles à leur réputation, ils nous laissèrent, à l’externe et moi le soin de voir leur patient, pendant qu’ils attendaient sagement, patiemment, les sorties de bilans (pas encore prescrit) sur l’ordinateur.

Un bon flux remplissait les urgences, doucement, imperceptiblement, mais certainement. Passé 22h, l’accélération se fut plus importante. J’étais déjà crevé comme s’il était 2h du matin, mauvais signe. Je décide de faire une petite pause clope, et à me retour je réalise ce que je n’avais pas vu dans le feu de l’action, les urgences étaient pleines. Pleines de patients vus en attente de savoir si on les laissait repartir ou si on les hospitalisait et pleines de patients non vus. Une infirmière me fait alors judicieusement remarquer que bientôt nous allions être à court de brancard. FAN-TA-STIQUE !
Magicarpe et Chenipan, toujours en pleine débauche d’énergie pour donner l’impression de travailler ne semblaient pas s’en émouvoir, et ne cherchaient pas à accélérer la cadence. Magicarpe en profita même pour me remettre une petite ampoule, une seringue et une aiguille en me demandant d’aller faire une injection à un patient avec un priapisme dans les étages. Sans doute abasourdi par une telle demande, je pars en direction du service sans même avoir demandé plus de renseignement, ne serait-ce qu’un truc aussi bête que « PUTAIN MAIS J’INJECTE COMBIEN DE QUOI, ET OÚ ? ». Le patient était atteint de drépanocytose (une maladie génétique, congénitale, qui transforme les globules rouges en faucilles ce qui complique leur passage dans les petits vaisseaux en raison d’une malléabilité diminuée), et présentait effectivement un priapisme (une érection, très douloureuse, qui ne dégonfle pas). Ce qui lui faisait donc la faucille et le marteau (pardon).
Pas une seconde à perdre, mon empathie sur le moment me pousse à accélérer ma prise en charge, mais je ne sais toujours pas ce que je dois faire. Plus qu’une solution… internet. Je cherche donc sur mon téléphone et je trouve une explication sur la méthode d’injection. Presque 8 ans d’études à ce moment…honte à moi. Finalement la méthode était la bonne, et le patient a assez vite retrouvé un pénis au repos, non douloureux. Il me fallait maintenant redescendre aux urgences. Woohoo ! Je me souviens encore du coup de pression quand, une fois arrivé, j’ai ouvert la porte des urgences, entre le couloir plein, les infirmières au bord de la rupture psychologique et  le bruit des scopes. Sur un coup de tête, j’ai décidé d’appeler le chef de service sur son portable (oui j’avais, par un miracle bienvenu, son numéro de téléphone). Je lui résume la situation, et il me répond qu’il arrive. Parfait. Maintenant allons prévenir les deux pokémons. J’aurai mieux fait de me taire. Après leur avoir raconté mon coup de fil, Chenipan a commencé à avoir mal au ventre et est allé vomir aux toilettes, et Magicarpe m’a expliqué que c’était déplacé et que j’aurai du leur en parler avant.
Trente minutes plus tard ; le chef de service est arrivé, dans sa blouse blanche, tel le sauver des urgences. Il remarqua en premier le visage diaphane, quoi qu’un fond vert était décelable, de Chenipan, et… lui dit de rentrer chez elle avec un grand sourire parce qu’elle était malade et que c’est surement pour ça que ça n’avançait pas.  SERIOUSLY ? SERIOUS-FUCKING-LY ! Si j’avais eu le courage, je me serai volontiers frapper la tête contre la porte du bureau médical jusqu’à y laisser l’empreinte de mon visage, mon propre Saint Suaire, sur une porte coupe-feu. Chenipan est donc rentré dans sa maison, dormir, au chaud. Magicarpe s’est mise à accélérer son rythme (oui car passer de 0 à 1 c’est quand même une accélération) et le chef de service m’a gentiment expliquer qu’avec Magicarpe ils allaient faire sortir un maximum de patient et qu’avec l’externe nous allions donc nous occuper des patients qui n’avaient qui pas encore été vus. La pile de patient, sur leurs brancards, rangés en ligne bien droite, sauf que contrairement à Tetris la ligne ne disparait pas. Au contraire, avec le phénomène de foule, l’agacement de l’un a motivé l’autre à s’énerver à son tour et ainsi de suite. Que du bonheur. La garde s’est ainsi continuée sans interruption jusqu’au staff à 8h30 du matin. J’ai du dormi pendant tout le staff, présentant mes patients en mi-éveil mi-sommeil, juste sur activation automatique de mon cerveau primitif.

Après cette garde, j’ai toujours considéré ma console comme un des objets que j’ai le plus mérité.


Récemment, j’ai appris par un ami qui s’est retrouvé à son tour en stage aux urgences, que le même duo avait été reformé pour plusieurs gardes, avec toujours aussi peu d’efficacité, même si depuis, le niveau de bordel de ma garde n’a jamais été égalé. Par quoi j’avais débuté déjà ? Ah oui : … perseverare diabolicum.

Errare humanum est

Errare humanum est… et des erreurs j’en ai faite. Tout le monde en fait. Celui qui le nie est soit un menteur, soit… non c’est juste un menteur. Il y en a des plus ou moins graves, selon les conséquences. Il y a les erreurs conscientes, et les erreurs d’inattention. Si vous ajoutez à cela la théorie du chaos qui dit qu’un simple battement d’aile de papillon peut provoquer une tornade, imaginez ce que peut faire un interne de troisième semestre étourdi.

Mr N, est arrivé, silencieusement, simplement, dans le service. Sa femme, Mme N, qui jusque là s’occupait de son mari et de sa perte d’autonomie, au domicile, s’est mise à avoir le cerveau qui ne fonctionnait plus comme prévu. Ses troubles bipolaires, alors discrets jusque là, se sont réveillés et la voilà hospitalisée en pleine crise maniaque à vouloir refaire le monde, prête à donner toutes ses économies pour ouvrir une boulangerie dans le fin fond de la Cordillères des Andes. Beau projet. Mais je peux comprendre que sa famille et son mari aient décidés de l’emmener aux urgences. Résultats, les deux amoureux se retrouvent dans le service de Gériatrie. Mais les chambres ne sont pas mixtes et il a fallu improviser avec les chambres de libres au moment de leur arriver, alors ils ne sont ni dans la même chambre, ni dans la même aile du service et ce n’est pas le même interne qui s’occupe d’eux.

Pendant que ma collègue gère la multiplication des projets pharaoniques que l’esprit de Mme N génère pour sauver la planète à moindre frais, je me retrouve avec Mr N, qui a comme antécédent une arthrose avancée des deux genoux et des deux hanches qui limitent considérablement ses déplacements. Son seul traitement : paracétamol. Parce que Mr N ne se plaint pas. Il dit qu’il a mal, mais « ça va aller docteur ». Son seul souci c’est qu’il est inquiet pour sa femme. C’est beau. Ils sont mariés depuis plus de 50 ans et l’amour qu’il a quand il parle d’elle va à l’encontre de tout ce qu’on peut lire sur les relations de nos jours. Il l’aime tellement que je suis à deux doigts d’appeler Daniel Lavoie pour qu’il en fasse une chanson. Au moins, ma visite se passe bien, vu que la prise en charge de Mr N consiste à s’assurer que sa douleur ne lui pose pas trop de problème et que malgré sa mobilité réduite une certaine activité est maintenue pour lui éviter des escarres. Je lui répéttequ’il ne faut pas hésiter dire s’il a mal, qu’il existe des médicaments plus fort que le paracétamol. Et qu’au pire s’ils ne les tolèrent pas, il y en a encore d’autres.

Puis, un vendredi, avant un week-end où j’étais d’astreinte, le chef vient me voir dans le bureau des internes.

-          «  Je viens de recevoir un coup de fil de l’unité d’hygiène, tu pourrais me ressortir le dossier de Mr N s’il te plait »

En bon interne, je m’exécute. Il faut dire que le chef n’est pas quelqu’un à qui on dit non. Il n’est pas tyrannique, loin de là, c’est même l’un des chefs les plus humains avec le personnel, dont nous les internes, et les patients. Il veut que le travail soit fait, bien fait, mais il sait aussi que l’hôpital n’est pas notre vie, que nous sommes en plein apprentissage et cela se ressent dans sa manière de nous superviser. C’est motivant. On se dit que si on devait être chef un jour, il faudrait se souvenir de son exemple pour l’appliquer, parce qu’au final il donne bien plus envie de s’investir qu’un chef désagréable qui pense que le respect est une question de hiérarchie.

Bref, je me retrouve à sortir le dossier de Mr N et à lui tendre. Il feuillette, tourne quelques pages, sort une pochette bleue, une rose, une verte et s’exclame :

-          « ah oui, tiens. Ton patient, Mr N, il est porteur d’une BMR »
-           
Puis il me tend le compte rendu d’une hospitalisation de Mr N dans un autre hopital, il y a de cela 2 mois, pour chute sans complication, avec nota bene, à la toute fin, en gras « Patient porteur d’une BLSE (un type de BMR) ».

Les BMR, ou bactérie multi-résistante, c’est un peu comme les méchants dans les Sentaï, type Bioman. On gagne des combats contre eux, et à un moment ils en ont marre et ils décident d’utiliser des pouvoirs cosmiques pour prendre la taille de Godzilla et on est obligé de faire intervenir le robot géant en kit pour le combattre, qui en l’occurrence est ici un bon gros antibiotique que l’on n’aime pas trop sortir des placards parce qu’il coute l’équivalent du PIB d’un pays africain et surtout parce que comme après un combat entre un gros monstre et un robot géant, même les fois où les gentils gagnent, le combat a quand même détruit la moitié de la ville.

Par conséquent, Mr N aurait du être mis en chambre seul et de nombreuses précautions auraient du être prise du coup. Ce qui ne fut pas le cas. Ici, fort heureusement, la bactérie est latente dans le tube digestif du patient. Elle ne provoque pas de symptomes ni de maladie et ne nécessite donc pas qu’on la traite. Mais comme toute bactérie, elle n’en reste pas moins transmissible, d’où l’importance des précautions pour éviter tout contamination des autres patients, sinon cette bactérie arrivera jusqu’à un patient chez qui elle sera symptomatique, et là ça va poser un réel problème.

Devant mon inattention, Mr N avait passé plusieurs jours en chambre double, avec du personnel soignant qui passait de sa chambre à une autre en étant autant de transporteur possible de la bactérie. Pour limiter la casse, il fallait désormais tester chaque patient du service pour savoir qui était porteur de la bactérie, et d’ici à ce que les résultats sortent, pas d’entrée, pas de sortie.

Et c’est ainsi que le service se retrouva en quarantaine. Ce n’est pas exactement comme dans les films et les séries. Il n’y a pas de grille qui tombe au sol pour enfermer tout le monde, ni de barrage policier pour s’assurer que personne ne rentre ni ne sorte. Personne ne vient nous voir avec des combinaisons couleur canarie et des masques qui vous font parler commeDark Vador.

Une quarantaine dans le monde réel c’est beaucoup moins sexy, moins classe.

Ça se résume à moi, faisant un prélèvement rectal sur 36 patients, à la suite un vendredi soir, pour avoir oublié de lire correctement cette page du dossier, qui était sous mon nez depuis le début avec écrit « porteur d’une BMR ». Par la suite il n’y a donc eu ni entrée, ni sortie d’hospitalisation pour les patients  jusqu’à la sortie des résultats. Autant vous dire que j’ai passé un week end d’astreinte assez tranquille.

lundi 14 septembre 2015

L'être et l'aidant. (Gériatrie)

La maladie d’Alzheimer, tout le monde en parle. On fait des programmes de sensibilisation auprès de la population, on nous parle de la recherche sur le sujet, les politiques s’en mêlent (les pinceaux… j’ai dû manger du Jean Roucas au petit déjeuner), on vient témoigner au 20H, c’est le mal du siècle, c’est incurable, inévitable, imprévisible. Woohoo, vas-y fait péter le champagne, je sens que j’ai la sérotonine qui atteint son paroxysme.

Mr A et Mme L ne se connaissent pas, ils ne se sont jamais croisés auparavant, quoi que, peut-être que si, comment le saurai-je, je ne connais pas leur vie et ils ont oublié la leur, alors comme ça on est bien avancé.

Mr A est amené aux urgences par ses enfants. Sa femme, qui s’occupe de lui, au quotidien, du haut de ses 1m30 (lui fait 50cm de plus),  avec des aides à la maison, et les enfants qui passent deux à trois fois par semaine, entre leurs boulots, leurs enfants, et leur problème personnel quotidien. Bref, tout le monde a l’air au bord de l’épuisement, tout le monde sauf Mr A. Mr A à l’air d’aller bien, il se tient droit sur ses deux jambes, il n’a aucun problème d’équilibre, ne semble ni fatigué, ni douloureux, il ne réclame aucun médicament, il pourrait te faire le marathon de Paris en moins de 2 heures Monsieur A. Seulement voilà, Mr A, il a la maladie d’Alzheimer. Du moins c’est ce qui lui a été diagnostiqué il y a 5 ans de cela, devant un faisceau d’argument clinico-biologico-radiologiques. Parce que oui, la maladie d’Alzheimer ça ne se diagnostique pas en dosant les anticorps anti-mémoire, c’est bien plus complexe. Mr A, il ne sait plus qu’il s’appelle Mr A, il ne reconnait pas Mme A, et pour lui les enfants de Mr et Mme A sont sympa de venir les voir plusieurs fois dans la semaine mais il ne comprend pas vraiment pourquoi. De la à dire que Doris dans le Monde de Nemo à la maladie d’Alzheimer, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas. Car comme je le disais c’est bien plus compliqué que ça.  Mr A il n’a pas que la mémoire qui est hors-service. Et hors service c’est peu de le dire, il n’a pas juste oublié pourquoi il était partie dans la cuisine ou l’endroit où il a posé ses clés de voiture ; non sa mémoire ne marche plus que ce soit pour se souvenir de son prénom ou retenir le mot que je lui ai dit il y a 5 secondes. Mais il y a aussi d’autres symptômes. Il ne comprend plus comment on enfile des chaussures, comment on boutonne une chemise, il lui arrive parfois d’oublier d’ailleurs qu’une chemise est un vêtement, 90% de son vocabulaire a disparu de son esprit, effacé, ctrl A + suppr. Mr A n’a plus de système de pensée cohérent, tout est abstrait. Mr A n’a plus de notion de bien et de mal, de socialement acceptable et répréhensible, de joie ou de peine, de faire plaisir ou de faire du mal. Il n’a ni remord, ni regret. Autant pour un T-800 envoyé dans le passé pour éliminer Sarah Connor, ça peut être utile. Mais pour un humain de 80 ans avec une femme, une famille, c’est un peu difficile. Dernier point sur Mr A, et qui confirme aussi sa maladie d’Alzheimer, il ne sait pas qu’il est malade. Il est atteint de ce phénomène cérébral aussi incroyable que terrible que l’on appelle l’anosognosie ; il n’a aucune conscience de ce qui lui arrive. Après pour l’inconscient, je ne saurai vous dire, de toute façon je n’ai jamais pu lire le Petit Hans en entier.

Au début Mr A avait quelques problèmes de mémoire, et le début des autres symptômes a commencé à apparaitre. C’était fluctuant, insidieux, on ne le voit pas, ou on ne veut pas le voir, on se dit que bon « c’est l’âge ». Mais voilà, un jour il n’y a plus de fluctuation, il n’y a plus « quelques problèmes », il y a un handicap majeure, une perte d’autonomie totale, une mise en danger pour le patient et son entourage, cet entourage trop souvent oublié, qui s’épuise au fil des jours, comme une flamme vacillante mais qui ne s’éteint pas, et quand il demande un peu de répit pour pouvoir se poser un peu c’est parfois sous des regards accusateurs et la critique. Alors un jour, ils craquent, ou alors il y a le problème de trop et ils arrivent aux urgences, et ce n’est pas le patient mais eux qui crient « Au secours » sans vraiment le dire. En l’occurrence pour Mr A, c’était sa femme qui avait craqué. Car Mr A avait aussi un autre problème lié à sa maladie, une activité sexuelle débordante qui poussait Mme A jusqu’à l’épuisement.

Alors me voilà, en pleine visite, comme tous les matins, à faire le tour de mes patients, de leurs bilans, de leurs examens, de leurs maladies, à espérer ne rien oublier, et derrière moi il y a Mr A, qui a mis son haut de pyjama dans l’évier en oubliant d’arrêter l’eau, et qui porte sur la tête son pantalon avec les deux jambes qui pendent comme les oreilles de Pluto et qui se plaint qu’ « on ne voit rien du tout avec cette saloperie », son pénis à l’air, en plein milieu du couloir et que je vais raccompagner dans sa chambre pour la 6ème fois de la journée (et je ne suis arrivé en stage que deux heures auparavant), tandis que la cadre du service de l’étage d’en dessous est en train de monter les escaliers quatre à quatre pour se plaindre d’une fuite d’eau dans le plafond.

Et Mme L dans tout ça me direz-vous. Et bien comme d’habitude, elle déambule dans le service à l’autre bout du couloir en attrapant tout le monde par le bras en répétant sans interruption « la, la, la, la », et j’ai renoncé à aller la chercher parce que de toute façon elle va repartir aussitôt.

C’est épuisant, il n’est que 11h. En plus de cela Mr A et Mme L avaient un autre point commun. Leur famille n’était pas venue les voir depuis le début de leur hospitalisation. C’est mal ! C’est de l’abandon ! C’est un opprobre sans excuse possible!


Vous penserez ce que vous voulez, car au début moi aussi c’était mon avis. Mais à ce moment très précis, je comprenais les familles.

La gériatrie, ce passage indispensable. (Gériatrie)

Après une première année assez difficile, à deux doigts de me pousser à changer de métier (j’avoue avoir songé devenir troubadour sur les routes d’Asie), il était temps que mon internat devienne autre chose qu’une succession de journées pénibles, et que peut-être, soyons fou, je me mette à me dire que « médecin ce n’est pas si mal ». J’ai donc décidé de prendre le taureau par les cornes (après lui avoir donné un sédatif puissant, on n’est jamais trop prudent). Pour mon prochain stage, je vais en choisir un qui est conseillé par tous ceux qui y sont passés, où dans les commentaires de stage on peut lire « A la fin du stage vous ne voudrez pas partir ». Tant pis s’il faut que je traverse la moitié de l’Ile de France. Mais la chance était avec moi sur ce coup, et je l’ai trouvé, cette perle rare, aux commentaires dithyrambiques, à 5 minutes à pied de chez moi. Dans le même hôpital où j’ai fait une grande partie de mon externat, là où j’étais passé pour mon stage aux urgences en premier semestre. Ainsi fut fait le choix de la gériatrie.

Effectivement comparé à mes deux précédents stages c’était le jour et la nuit. J’étais content d’y aller, pas mécontent que les journées se terminent mais motivé le lendemain matin à l’idée d’y retourner. Le genre de truc qu’on ne croit possible que dans les films anglais avec Hugh Grant. Il ne me manquait plus qu’un fond de musique pop pour accompagner mon trajet matinal. Une seule chanson parce qu’après j’étais déjà arrivé.

Encore une fois je tombe sur des co-internes du tonnerre (ça ne fait pas trop vieux comme expression ? J’hésitais à utiliser « pas piqués des hannetons » mais j’ai renoncé au dernier moment). Et l’équipe était TOP-I-SSIME ! Les chefs à la fois, bienveillants, humains, drôles, souriants (sauf une mais ce n’était qu’un premier abord, et avec le temps elle s’est avérée être la petite fée bienveillante qui ne montre pas qu’elle est derrière toi pour te pousser à t’autonomiser mais qui est là quand tu es sur le point de faire une connerie), une équipe paramédicale à vous faire croire que la cohésion médecin-infirmières-aide soignantes version série télé ça existe. Que demande le peuple. (du pain et des jeux peut-être).

La gériatrie n’est pas un passage obligé dans la formation médicale du médecin généraliste. Sa maquette l’oblige à faire un stage de « médecine polyvalente ». Oh la jolie expression démagogique que voilà. Mais bon, on n’est pas là pour partir dans des débats sémantiques et rhétoriques, sinon on va rater « Les Reines du Shopping ». Je disais donc qu’il fallait un stage de médecine polyvalente, ce qui inclut un sacré nombre de stage dans les choix possibles en médecine générale. Par exemple, mon stage de médecine interne validait ma maquette en tant que stage de médecine polyvalente. Je n’avais donc aucune obligation de passer en gériatrie par la suite, cela ne m’aurait pas empêché de valider ma maquette de stage et de devenir médecin généraliste. Ce qui est un peu dommage, parce que, d’après vous qu’est ce qu’on voit le plus en cabinet de médecine générale entre :

-          1) Une maladie de Kikuchi-Fujimoto
-          2) Une patiente de 85 ans en perte d’autonomie avec une liste d’antécédents et de traitements plus grande que la rubrique nécrologique de Game of Thrones
-          3) Une maladie de Chagas au retour du Venezuela
-          4) Un patient de 80 ans qui vient vous voir pour des troubles du sommeil avec tellement de facteur de risque de chute que vous vous demandez s’il ne faudrait pas tapisser son sol de matelas.

Un indice : Plusieurs réponses sont possibles.

Bref, tout ça pour dire que je pense que mon passage en gériatrie a été probablement l’un des plus bénéfiques pour ma pratique actuelle. Avec le recul, je me dis qu’à part pour les pédiatres et les obstétriciens, chaque médecin, généraliste ou non, devrait passer dans un stage de gériatrie. Parce que rien n’est plus différent qu’un patient de 40 ans avec un symptôme A, un traitement B et une anomalie de bilan C, et un patient de 80 ans avec le même symptôme A, le même traitement B et la même anomalie C. Vieillir ce n’est pas juste avoir plus de bougies à souffler sur son gâteau d’anniversaire alors qu’on a le souffle de plus en plus court. Vieillir c’est avoir un corps qui réagira différemment aux médicaments, c’est avoir des symptômes différents pour une même maladie par rapport à un patient de 20 ans de moins, voire même ne pas avoir de symptômes du tout, c’est avoir des résultats de bilan en gras ou en rouge ou avec une astérisque sans que ce ne soit pour autant des anomalies, c’est avoir une autonomie différente, un entourage différent, une façon différente de se plaindre ou de cacher des choses. C’est aussi une manière différente de mourir, de se voir mourir. Vieillir ce n’est pas une maladie et pourtant ça implique des symptômes, des changements, des handicaps. C’est aussi parfois avoir des maladies qu’on ne traite pas, parce qu’il n’y a pas de traitement, parce qu’on ne peut pas aller à l’encontre du vieillissement cellulaire et de tout ce que ça implique, alors on vieillit en n’étant plus soi-même et l’on ne peut rien y faire, et peut être qu’on ne s’en rend même pas compte ou peut-être qu’on en souffre, mais personne ne le sait parce qu’on n’est pas à même de le dire.


Comme le disait si bien Paul Claudel : « Il y a deux manières de vieillir, soit le corps l’emporte sur l’esprit, soit l’esprit l’emporte sur le corps. »

Mon burnout (Médecine interne)

Tous les évènements relatés plus haut, ainsi que d’autre, comme le fait d’avoir du négocier  avec un patient VIH, persuadé que le virus n’était qu’une invention des groupes pharmaceutiques américains pour vendre des médicaments, pour qu’il prenne ses traitements, d’avoir du contenir un autiste de 120 kg en train de courir nu dans les couloirs du service avec son pied à perfusion dans la main à frapper quiconque approchait de lui (parce que oui, l’interne est aussi responsable de la sécurité), cumulé à la charge de travail, les gardes, la pression des chefs, les familles de patient tantôt dans la manipulation, l’agression, le désarroi, les patients qui mourraient à la chaine en phase terminale de leur cancer, tout cela combiné a abouti à ce qui restera pour moi l’expérience la plus dure de mon internat. Mon burnout.

En cours, récemment, un médecin nous a dit que le diagnostic de burnout était le plus souvent raté, non vu et sa prévalence était largement sous-évaluée. Tout le monde a un seuil de tolérance différent, certains choses vous affecteront et laisseront de marbre un collègue. Il n’y a pas de temps de travail minimum pour déclencher un burnout, ni de score universel pour évaluer le stress au travail ou son retentissement sur votre vie quotidienne. Il y a autant d’impact possible qu’il y a de personne. Aucune généralité n’est possible devant le burnout. Ce diagnostic que nous devons savoir poser en médecine générale est un vrai casse-tête. Le début est insidieux, le sommeil devient plus fragile, des difficultés d’endormissement, on repense à la journée, on anticipe celle à venir et l’on angoisse. Les mêmes personnes, les mêmes lieux, les mêmes problèmes, la même pression, tout se répète, tout se ressemble, mais il n’y a pas d’autre choix que de se lever et d’y retourner. Le travail doit être fait. Les autres ont la même charge de travail que moi, dans le même lieu que moi, de quel droit pourrais-je leur imposer mon travail. Non ce serait de la lâcheté, du fainéantisme, de l’irresponsabilité. Si eux y arrivent, je n’ai aucune excuse pour ne pas y arriver. Alors les jours reprennent, tout s’enchaine, encore, et l’on essaye de se dire que cela finira bien par terminer. Il faut tenir, les autres tiennent. L’angoisse devient plus forte, on dort de moins en moins bien, l’appétit disparait, puis les envies d’une manière générale. C’est progressif, on ne le réalise pas vraiment, ou peut-être qu’on ne veut pas le réaliser. On fait bonne figure au travail, personne ne doit savoir que l’on est sur le point de craquer, ce serait faire preuve de faiblesse, cela voudrait dire qu’on est plus faible que les autres. Mais voila, on pleure, de plus en plus, en cachette en journée, le matin en allant au travail, le soir avant d’aller se coucher, de peur de s’endormir en sachant très bien que tout recommencera demain. Nos proches commencent à s’en rendre compte mais l’on n’écoute pas. Non ce n’est pas possible, pas moi. Et de toute façon, il n’y a pas de solution, en tout cas, aucune qui satisfasse tout le monde, qui ne me décharge pas de mon travail pour le déverser sur les autres qui sont tout aussi débordés que moi. Le coup de grâce arrive un samedi d’astreinte.11 entrées, 2 dans la nuit, 2 dans la matinée et 7 l’après-midi. Celle de la nuit et du matin ont été partagés entre le chef d’astreinte et moi, ce qui avec les 7 de l’après-midi m’amène à 9 entrées à ma charge en une journée. Tout cela après une semaine de travail éprouvante et avant une nouvelle qui arrive à grand pas, sans repos puisque le dimanche se passera aussi à l’hôpital. En plus des entrées, il y a les nouveaux problèmes des patients déjà hospitalisés, et la peur de mal faire car ce sont pour la majorité des patients que je ne connais que via les transmissions de mes collègues. Je ne tiendrais pas, je ne tiens déjà plus. Et les voilà, ma compagne et mon ami, qui avait détecté chez moi les signaux d’alarme et qui viennent dans le service me chercher. « Tu vas venir avec nous. Ça ne sert à rien de forcer. Tu nous fais peur. On craint vraiment pour ta santé, ce stage te tue doucement. Ça ne sert à rien de forcer jusqu’à craquer. Pour gagner quoi ? Le respect de gens qui te malmènent chaque jour sans s’en rendre compte ou pire en toute conscience ? Pour aller jusqu’à faire une erreur médicale à cause de ta fatigue psychologique et mettre en danger la vie des patients et ta carrière ? Ca n’en vaut pas la peine. ». Il leur aura fallu plus d’une heure de négociation avant que je ne finisse par l’accepter. Oui, j’étais en burnout. Et je m’en voulais de l’être, et je ne voulais pas le reconnaitre, et je me trouvais lâche par rapport à mes collègues, comment pouvais-je leur faire ça ? Mais mes amis avaient raison. Je ne mets pas seulement ma vie en danger mais aussi celle de mes patients. Cela ne peut plus durer.

Il aura fallu une thérapie, des consultations répétées et un travail sur moi-même avec l’aide de mes amis pour accepter mon burnout, et pour le dépasser. Pour que je puisse repartir sur de bonnes bases. Je décidais même de faire les deux dernières semaines du stage, en accord avec mon médecin généraliste et mon thérapeute pour ne pas finir sur une fuite, sur un échec, mais terminer le stage sur place, présent, en faisant le travail et en pouvant ainsi tirer un trait définitif la tête haute. C’est ainsi que s’est terminé mon stage en médecine interne.


La mort, mes limites, mon angoisse. (Médecine Interne)

Comme autre moment panique de mon stage, il y a ce jour dont je me souviendrais encore longtemps, dont le déroulement me revient parfois avec toujours ce même sentiment d’impuissance. Il y a deux jours dans tout mon internat qui m’ont changé, au plus profond de moi, je le sais, je le ressens encore et je me remémore parfois ces journées pour ne pas oublier. Ne jamais oublier.

Mr F était hospitalisé une nouvelle fois dans le service. Ses hospitalisations étaient fréquentes et souvent longues pour des raisons administratives, sa femme et lui ne recevant pas assez d’aide pour permettre une prise en charge adaptée au domicile. Mr F était atteint d’un carcinome du sinus piriforme, une tumeur maligne de l’hypopharynx. Suite à des complications, il avait été trachéotomisé et avait donc du mal pour communiquer et pour s’alimenter. Sa femme passait ses journées à ses cotés à s’occuper de lui, malgré ses attitudes machistes continuelles. Ils ne se plaignaient que peu l’un et l’autre, sans nier la difficulté et les contraintes de la situation actuelle. Je ne sais plus quel état le motif de son hospitalisation à ce moment donné. Le matin, à la visite, toujours débordé, dépassé, et approximatif devant la charge de travail et la lourdeur des dossiers à gérer dans un laps de temps limité, je remarque quand même que Mr F présente un myosis unilatéral à droite ( sa pupille droite était de plus petite taille qu’à gauche) mais n’y prête pas plus attention. Son examen révèle une légère hématurie connue en cours de traitement par adaptation de son traitement anticoagulant. La visite terminée, je cours à la cafeteria me chercher un sandwich à manger devant les dossiers que je devais présenter au staff de gastro vers 14h. Mes co-internes, les assistantes et les chefs partent de leur côté manger au self. Sandwich en main, dossier sur les genoux, je potassais pour ne pas paraitre trop bête le moment venu, même si une nouvelle fois la complexité du dossier m’envoyait au casse-pipe de manière inexorable. L’infirmière arrive soudainement dans le bureau médical : « Mr F est en train d’avoir une hémorragie, il faut que tu viennes tout de suite ! ». Repensant à son hématurie, je me dis que l’infirmière vient me voir pour ce motif, je sors calmement du bureau et aperçoit le personnel soignant en train de courir dans le couloir. J’accélère mon pas, et en tournant dans le couloir je vois Mme F affalé contre le mur, son t-shirt blanc recouvert de sang. Elle sanglote et hurle à faire trembler les murs. Je me précipite vers la chambre et je vois un jet de sang, puissant, jaillir de la canule de trachéotomie de Mr F. Ce dernier, les yeux paniqués, essaye de se débattre en vain, les infirmières sont couvertes de rouge, une flaque s’étend au sol juste devant mes pieds là où termine le jet de sang. Deux infirmières le perfusent, une autre se tourne vers moi « On faut quoi ? » dit elle. Aucun mot, aucun son n’est sorti de ma bouche. Plus aucune connaissance ne me venait, je ne comprenais pas, j’étais figé, sidéré. Cet homme mourrait devant moi et je ne savais pas quoi faire. Je suis parti en courant, vers les bureaux médicaux. J’ai frappé avec frénésie. Finalement la chef de service qui n’était pas partie manger m’a ouvert.
« Qu’est ce qui se passe ? ». Je lui explique tant bien que mal, toujours choqué, que Mr F se vide par sa trachéotomie. Elle se lève alors et m’accompagne jusqu’à sa chambre. Elle se tourne vers les infirmières  et dit « Hypnovel » puis une posologie dont je n’ai plus le souvenir. Les infirmières y ayant déjà pensé avaient préparés le matériel et ont pu débuter très vite le traitement. Mr F s’est endormi devant moi. Son sang continuait de sortir de sa trachéotomie, mais il était endormi. Mr F s’est vu mourir, mais pas jusqu’au bout. Il dormait au moment de son dernier souffle, quand son cœur cessa de battre devant une trop grande perte de sang.
« Tu ne pouvais pas le sauver. » m’expliqua la chef en se retournant vers moi, droite comme un i, ne trahissant aucune émotion. « Il a rompu sa carotide sur son cancer. Sans trachéotomie il se serait noyé dans son propre sang, mais là il s’est vidé par sa canule de trachéotomie. Tout ce que tu pouvais faire pour lui c’était de l’endormir pour ne pas le laisser partir dans la panique et la peur, pour qu’il meurt dans son sommeil ».
Je ne pouvais pas le sauver, personne n’aurait pu. Alors la meilleure des choses à faire devant sa mort imminente était de l’endormir pour ne pas qu’il souffre davantage et lui permettre autant que possible de partir convenablement. Comment ? Comment à 26 ans, suis-je censé accepter ça de facto ? Comment accepter que mon métier, de médecin, m’oblige un jour de prendre la décision d’endormir quelqu’un pour qu’il meure dans son sommeil plutôt que d’utiliser toute mon énergie à le sauver ? Ce n’est qu’avec du recul que j’ai réalisé cela, et que devant une situation sans espoir, le moindre mal est la meilleure des solutions. Il y a bien sur des débats sans fin sur le sujet, et il y autant de cas de figure que de personne, aucune généralité n’est possible, mais ce que j’ai retenu de ce jour c’est qu’il faut connaitre les limites du curatif pour pouvoir accompagner correctement.

Après cela, j’ai pleuré, de longues minutes. Assis, dehors, contre le mur, dans la même position que Mme F dans le couloir, sans réussir à reprendre correctement mon souffle. Cette image me revient encore aujourd’hui, son visage, ce jet de sang, sa femme, ma tétanie.

Panic party ! (Médecine Interne)

La panique peut se manifester sous différente forme. Beaucoup de gens pensent se connaitre et pouvoir prédire comment ils vont réagir devant une situation de crise brutale, inattendue, mais je pense que nous nous trompons tous. Il est impossible de prévoir ce que nous allons faire, comment nous allons réagir. Et surtout il n'y a pas qu'un seul type de panique. Mais cela je l'ai aussi appris durant ce stage.

C’était une garde de dimanche, ces gardes de 24h qui vous laissent sur les rotules, épuisé, misanthrope, avec un besoin presque incontrôlable de mal bouffe dès que possible (qui n’a jamais eu une sensation de bonheur intense lors de la première bouchée d’un big mac en sortie de garde ?). La garde avait été assez intense, mais fort heureusement la chef de nuit était bien plus compétente et efficace que son homologue de jour. J’allais me coucher à 7h du matin, quand enfin une accalmie pointait le bout de son nez entre les passages aux urgences et les appels pour les problèmes dans les différents services de de l’hôpital. Une demi-heure plus tard mon bip se mit à sonner. Une infirmière de pneumologie m’appelait car un patient que j’avais fait hospitaliser dans la nuit pour une décompensation de sa BPCO présentait une hémiplégie gauche depuis 15 minutes. Mes surrénales se sont alors vidées et j’ai foncé vers le service, via les couloirs souterrains de l’hôpital pour y accéder plus rapidement. Une fois sur place, je constate l’hémiplégie du patient, qui m’explique, avec difficulté en raison de sa paralysie faciale, que cela s’est déclaré il y a une vingtaine de minutes alors que tout allait bien à son réveil une heure auparavant. ALERTE STROKE ! Panique à bord, mon cerveau part dans tous les sens, mon examen clinique est ridicule, j’essaye de rester calme devant le patient pour ne pas rajouter à sa propre peur et faire monter davantage sa tension. J’appelle ma chef qui décroche aussitôt et me donne les numéros de téléphone des différents hôpitaux susceptibles de prendre le patient en charge. Je les note sur un bout de papier déjà recouvert à 90% de notes et de gribouillis, et j’entame ma valse des numéros de téléphone.

« Nous n’avons plus de place », « nous gardons la place pour un patient qui va arriver », « je ne peux pas accepter votre patient » etc… finalement le dernier numéro est le bon, je tombe sur un neurovasculaire, probablement l’interne de garde, qui me dit qu’il n’y a aucun problème, et qui me demande des renseignement sur le patient et l’épisode actuel, j’essaye de lui répondre tout en renversant la moitié des feuilles du dossier du patient par terre. « On a environ 4h pour le thrombolyser,  si cela est possible et s’il s’agit d’un accident ischémique, donc on va faire les choses bien, on a le temps, vous êtes à 20 min en ambulance de chez nous, donc appelez dès maintenant le SAMU et transférez le, on va tout préparer sur place ». Si j’avais pu, je l’aurai serré dans mes bras, si fort. Son calme au téléphone, la justesse de ses explications a été un vrai secours pour moi et m’ont permis de repartir sur de bonnes bases. J’appelais le SAMU qui après une longue attente et une opératrice avec qui j’ai du me battre pour qu’on m’envoie un véhicule du SAMU et non pas une simple ambulance, j’explique au patient le déroulement de la prise en charge. Soudain, une épiphanie. La glycémie ! Je ne lui ai pas fait sa glycémie ! Crétin !! C’est la base, LE reflexe devant ce type de tableau, le premier truc à faire, le plus simple, le plus rapide. Je fonce chercher de quoi faire la glycémie du patient, et mon cerveau se met alors à divaguer. « Qu’est ce qui est le mieux ? Que ce soit juste une hypoglycémie, réversible facilement, traitable dans la minute, mais j’aurai fait venir le SAMU et réservé une place en neurovasculaire pour rien, ou alors que sa glycémie soit normal et que ce soit bien un AVC ? Quel horrible pensée, comment puis-je une seule seconde souhaiter que la patient ait un AVC plutôt qu’une hypoglycémie juste pour ne pas passer pour un abruti. Encore aujourd’hui je m’en veux d’avoir eu, même une seule seconde cette pensée. Finalement le patient est parti avec le SAMU, et deux jours après j’apprenais qu’il s’en était sorti sans séquelle.

mardi 8 septembre 2015

Première annonce de maladie grave (Médecine Interne)

C’est durant ce stage que j’ai fait ma première annonce de maladie grave. Ce moment, dans la vie d’un médecin, est quelque chose de très particulier. Vous avez des cours dessus, avec des mots clés à apprendre par cœur que vous notez en liste :
- information claire, loyale et appropriée
- faire preuve d’empathie
- ne pas briser les silences
- laisser parler le patient
- faire ça dans une pièce au calme
- exposer un projet thérapeutique
Vous vous entrainez avec des jeux de rôle, vous l’imaginez, vous l’anticipez. Mais comme toujours, quand cela vous arrive pour la première fois, il n’y a plus de préparation, plus de mot clé. Il y a votre patient, son psychisme et le votre. Votre représentation de la situation et de la maladie, sa représentation de la situation et de la maladie, le transfert et le contre-transfert. Que vous le vouliez ou non, ça ne se passera jamais comme dans les cours, comme dans les entrainements. Pourquoi ? Parce que nous sommes des humains, que celui à qui nous faisons l’annonce est un humain et que rien ne pouvait nous préparer, lui ou nous, à cela. Rien.

Mr N était hospitalisé pour un accès palustre avec une importante anémie. Dans le bilan général, une sérologie VIH  avait été faite, après accord du patient. C’est un matin, en regardant rapidement sur l’ordinateur les résultats du jour que je suis tombé sur ses résultats, première sérologie positive et contrôle par western-blot positif. Je vais relater cela à l’assistante au plus vite, qui me répond « Ah oui, le Dr F (notre chef) me l’a dit hier, il a eu les infectiologues au téléphone ». Ok, merci. Merci de ne pas me tenir au courant de telles informations sur mes patients. Ça fait plaisir de sentir qu’on fait partie d’une équipe et qu’on n’est pas juste là pour faire le boulot que personne ne veut faire au prétexte que c’est pour notre formation. Juste après cela, je débute ma visite quotidienne. Arrivant à reculons à la chambre de Mr N :

-          Il faudra que je repasse à la fin de ma visite. On devra parler de vos résultats.

Génial, je parle comme un PDG agacé par les faibles bénéfices du premier trimestre.

-          Ok. Rien de grave ?

Que dire ?
-          Option 1 « Ah ben si, vous avez le VIH, mais je préférerai qu’on en parle plus calmement. Je voulais vous garder la surprise mais décidément on ne peut rien vous cacher ».
-          Option 2 « Non, non. Rien de grave. Enfin, tout est relatif. Bref, vous verrez. Après tout est affaire de point de vue mais je dis ça, je dis rien ».
-          Option 3, que j’ai choisi sans vraiment m’en rendre compte puisque sur le moment on ne choisit pas vraiment sa réaction, la non réponse, ni oui ni non, noyer le poisson. « On en reparle toute à l’heure, je dois terminer ma visite ».

La visite terminée, je retourne vers la chambre de Mr N, l’estomac noué. Je me dis que cela fait partie de mon métier, qu’après tout il vaut mieux être à ma place qu’à la sienne et que j’ai plutôt intérêt d’être en pleine possession de mes moyens parce qu’il va falloir que je suis ultra-présent pour lui et au summum de mon professionnalisme. Cette dernière phrase me fait beaucoup rire avec le recul parce qu’au moment où je pense cela, je me dis que cela implique de ne pas pleurer, de ne pas paniquer et de ne pas bégayer. C’est une certaine vision du professionnalisme…
Nous nous sommes installés dans la salle de staff du service, assis, face à face, séparé par la table du staff dans sa largueur.

-          Bon, il faut que je vous parle, par rapport aux tests qu’on a faits. Vous vous souvenez ? (peut être que comme ça il va comprendre de lui-même)
-          Oui, le paludisme, tout ça.
-          Oui, tout ça (ce n’est pas gagné), le paludisme, les infections. (bon là quand même il va bien se douter de quelque chose quand même)
-          Oui, ben alors ? (bon, je pense qu’il ne va pas échapper à l’effet de surprise, il n’a pas l’air du tout de se douter de ce que je vais lui dire)
-          Mr N, je suis désolé de vous dire ça, mais vos tests, même après contrôle, se sont révélés positifs pour le VIH. Vous êtes atteints du VIH.

Je pourrais replacer la seconde précisément où il a réalisé ce que je lui disais. Lui qui me fixait depuis le début de l’entretien, ne regardait plus que la table. Il commença à faire des mouvements probablement involontaires, avec ses mains, comme s’il se les lavait sous l’eau. Il y eut un long silence. Me rappelant les cours sur l’annonce de la mauvaise nouvelle je me forçais de respecter ce calme avant la tempête. Et croyez moi, c’est très dur. J’aurai voulu enchainer directement avec des phrases comme « mais maintenant ça se traite bien », « on va continuer les bilans pour savoir exactement où vous en êtes vis-à-vis de la maladie », « il faudra que vous en parliez à votre femme », mais pas tout de suite, de toute façon à quoi bon, je pourrais très bien lui dire tout ça ou me mettre à chanter Les Rois Mages de Sheila, son état de choc sur le moment fait que rien de ce que je ne pourrais dire ne serait correctement compris ou retenu et qu’il est donc au final beaucoup plus utile pour moi de la fermer et de voir ce que lui va me dire. N’ayant jamais assisté à une annonce jusqu’à ce jour, je n’aurai jamais pu prévoir ce qui allait se passer. Je m’attendais à ce qu’il pleure, à ce qu’il s’énerve, à ce qu’il dise des choses comme « Comment c’est possible ? » « Pourquoi moi ? » « Je ne mérite pas ça ». En me projetant à sa place c’est ce que j’aurai surement dit, avec une irrépressible envie de tout renverser dans la pièce. Car c’est à ce moment précis que sa vie a basculé du tout au tout. Certes il avait le VIH avant que je lui dise, je n’ai fait que lui annoncer, mais pour lui il y aura toujours un avant et un après. Tous ses projets d’avenir vont devoir être redéfinis avec cette donnée supplémentaire. Le silence dura presque cinq minutes, cinq interminables minutes. Finalement, ce fut lui qui le brisa, avec cette phrase dont je ne me croirai jamais capable après une telle annonce :

- Ok. Maintenant on fait quoi ?

samedi 5 septembre 2015

Tout controle est illusion (Médecine interne)

Les décès étaient fréquents dans le service du fait des pathologies graves, parfois terminales de certains patients. Beaucoup étaient attendus, et si les premiers surprennent un peu, on fini par vite se créer une carapace vis à vis de cela, par obligation, afin de pouvoir être à 100% pour les autres patients. Ce n’est aps être inhumain ou manquer d’empathie, c’et au contraire un travail nécessaire pour se préserver soit même afin d’être apte à prendre en charge correctement les autres patients aussi. Ce juste milieu entre l’empathie et sa propre protection psychique est un sujet que je trouve fascinant, d’une complexité effarante. On essaye de faire de son mieux pour l’atteindre, ce juste milieu, malgré tout certaines morts brise notre carapace, tout simplement parce que qu’on le veuille ou non, on est humain.


Mme N, 98 ans, a été admise dans le service pour une pyélonéphrite sévère avec troubles majeurs de la conscience sur des perturbations électrolytiques. Lorsqu'elle arrive dans le service, elle est encore sous noradrénaline, ce qui n'est pas autorisé en salle hors service de réa devant la surveillance et la lourdeur de prise en charge qu'implique ce type de traitement. Un germe est vite retrouvé et une antibiothérapie est débutée. Après 48h, la noradrénaline est arrêté, et doucement Mme N revient à elle, avec comme principal soucis la qualité, ou plutôt la non qualité, de la nourriture hospitalière et sa constipation (même Jésus il n’a jamais fait une telle résurrection !). Son traitement a pu être passé par voie orale, et sa perfusion sera retirée demain pour permettre son retour en maison de retraite. Mais le matin du départ, lorsque j'arrive dans le service, sa chambre est vide, alors qu'elle ne devait partir que dans l'après midi. Son dossier est sorti sur la paillasse de la salle de soin, et l'infirmière m'apprend que Mme L est morte dans la nuit d'une hémorragie digestive haute massive. Elle avait vomi du sang jusqu’à en mourir. Le jour où elle devait quitter l'hôpital, alors qu'elle était arrivée presque mourante et que la veille elle avait encore pesté contre son repas du midi. Avais-je fait une erreur ? L'avais-je trop anticoagulée ? Je reprenais le dossier dans son intégralité pour revoir ses derniers bilans, ses traitements à la recherche du moindre indice qui aurait pu/du me mettre la puce à l'oreille, me permettre d'anticiper cela et d'éviter que cela n'arrive. Mais à quoi bon, je ne pouvais pas revenir en arrière. Au mieux j'aurai pu une nouvelle fois apprendre de mes erreurs pour ne pas que cela se reproduise, mais le dossier ne m'apporta rien. Elle était morte, et cela était irréversible. Je restais avec la peur désormais que cela se reproduise pour n'importe quel autre patient.

Arrivée en Médecine interne (Médecine interne)

Après un premier semestre à voir soit de la bobologie, des caprices pour arrêt de travail, soit des patients un peu plus malades mais avec une pratique différente d'un chef à l'autre, je décidais de me lancer dans l'expérience "Médecine interne". J'avais pu voir, via quelques patients passés par les urgences et transférés dans des services de médecine interne la complexité de leurs pathologies et de leur prise en charge. Et de toute façon, mon souhait n'étant plus de devenir urgentiste, il était important de me former à suivre correctement des pathologies à plus long terme comme je pourrais le voir en cabinet de médecine générale. Un ami, anciennement interne dans le même service que j'avais choisi m'avait dit "tu vas en chier, mais tu vas beaucoup apprendre". Sur de moi je me disais que de toute façon, personne n'apprend sans contrepartie. Ce que je n'avais pas prévu c'était le vrai sens du début de sa phrase.

Premier jour, après un staff interminable de 8h30 à 10h, chaque interne se retrouve responsable de 8 ou 9 patients, des dossiers plus massifs que les premières éditions de La Bible de Gutenberg, des pathologies lourdes, très lourdes, des traitements dont je n'avais jamais entendu parler. Et on nous demande de faire notre première visite à J1, et de terminer avant 14h sinon le self sera fermé, et de toute façon passé 14h30 il faudra voir les familles et gérer les entrées des nouveaux patients. Cela nous est annoncé comme si c'était normal, facile, une évidence même. Après 6 mois d'urgences éprouvant, il ne m'aura cette fois fallu que 48h avant de pleurer dans le couloir en faisant ma visite, obligé de choisir entre aller plus vite ou faire bien, sachant que de toute façon même en allant vite je finissais après 14h, et même en prenant mon temps pour bien faire je ratais la majorité des données importantes des dossiers.
Pour préciser les choses, les patients étaient hospitalisés pour des pathologies comme des infections à germes multi-résistants sur chambre implantable, avec diffusion en sous cutanée de la dernière chimiothérapie ou infection à mycobactérie atypique d’un nouveau genre, apparentés aux germes de la tuberculose, avec des germes différents retrouvés dans une biopsie du foie et dans un prélèvement pulmonaire, le tout chez un patient SDF, en dénutrition sévère, ne parlant que peu français, accro à la cigarette, refusant de porter son masque, sniffant en permanence son pansement alcoolisé posé sur sa récente lymphangite et qui avait déjà fugué deux fois. Lui je m’en souviens parfaitement, et il y a de quoi. Et ce ne sont la que deux dossiers classiques parmi les 9 que nous avions à gérer. Ajoutez à cela, un médecin assistant qui vous dit de prescrire un examen et qui ne vous soutient pas quand à la visite le grand chef vous demande avec un regard accusateur pourquoi vous avez prescrit cet examen, ce que vous en attendiez et si vous réalisiez son coût !

Certes, j'apprenais beaucoup, les chefs étaient des puits de science inépuisables, toujours curieux d'en apprendre davantage et de nous en apprendre plus, mais avec le stress de la salle à gérer, il était souvent difficile d'avoir la force de se consacrer à un apprentissage dans de bonnes conditions.


Psychologiquement ce stage a été de loin le plus dur et je détaillerai plus loin jusqu'où cela m'a mené.