… perseverare
diabolicum. Voilà la locution dans son intégralité. « Errare humanum
est, perseverare diabolicum » et on n’a tendance à facilement oublier
cette partie. Etonnant non ?
Il y a un autre point de ce stage dont je n’ai pas parlé
jusqu’à présent, les gardes. Ici les gardes se faisaient aux urgences. Et me
voila revenu pour quelques gardes (une vingtaine sur le semestre) dans le stage
de mes débuts. Dans l’ensemble elles se sont plutôt bien passées. C’était comme
revoir une vieille connaissance, tu te souviens que tu ne pouvais pas la
supporter de la voir tous les jours, mais de manière sporadique, une, deux,
maximum trois fois par mois ça passe, ça te change un peu. Mais il y en a une
que je n’oublierai pas. Je ne devais pas la faire initialement, mais je l’ai
reprise à une de mes co-internes, contre un doublement de sa part de la paie de
la garde, sans doute avait-elle senti venir le coup. De mon coté, je voyais
juste que cela allait me permettre d’aller m’acheter une console de jeu en
sortie de garde (chacun sa motivation). Après une journée de stage assez calme
je partais donc gaiement en garde, la fleur au fusil, pensant à mes futures
heures de jeux avec ma nouvelle console. Si j’avais vu le planning des urgences
je serai surement arrivé moins souriant. Pour préserver leur anonymat
j’appellerai les deux chefs qui étaient de gardes ce jour là, Magicarpe et
Chenipan. Pour ceux qui connaissent un peu les jeux pokemon vous aurez compris
la métaphore. Pour les autres, sachez que j’ai décidé de les appeler ainsi
parce que je considère que dans leur forme actuelle, Magicarpe et Chenipan ne
servent pas à grand-chose, mais que peut-être, avec assez de patience et
quelques évolutions on peut arriver à quelque chose d’exploitable.
Je me retrouve donc en binome avec Magicarpe, tandis que
l’externe de garde se retrouve avec Chenipan, et que l’autre interne de garde
(celui qui est posté aux urgences en temps normal) se retrouve au tri, à la
place qui était la mienne un an auparavant.
Magicarpe et Chenipan étaient connus comme le(s) loup(s)
blanc(s). Leur difficulté chronique à se lever de leur chaise pour voir un
patient était devenue légendaire. Certains disaient les avoir vu un jour dans
une autre position qu’assise, mais peu de gens les croyaient.
Fidèles à leur réputation, ils nous laissèrent, à l’externe
et moi le soin de voir leur patient, pendant qu’ils attendaient sagement,
patiemment, les sorties de bilans (pas encore prescrit) sur l’ordinateur.
Un bon flux remplissait les urgences, doucement,
imperceptiblement, mais certainement. Passé 22h, l’accélération se fut plus
importante. J’étais déjà crevé comme s’il était 2h du matin, mauvais signe. Je
décide de faire une petite pause clope, et à me retour je réalise ce que je
n’avais pas vu dans le feu de l’action, les urgences étaient pleines. Pleines
de patients vus en attente de savoir si on les laissait repartir ou si on les
hospitalisait et pleines de patients non vus. Une infirmière me fait alors
judicieusement remarquer que bientôt nous allions être à court de brancard.
FAN-TA-STIQUE !
Magicarpe et Chenipan, toujours en pleine débauche d’énergie
pour donner l’impression de travailler ne semblaient pas s’en émouvoir, et ne
cherchaient pas à accélérer la cadence. Magicarpe en profita même pour me
remettre une petite ampoule, une seringue et une aiguille en me demandant
d’aller faire une injection à un patient avec un priapisme dans les étages.
Sans doute abasourdi par une telle demande, je pars en direction du service
sans même avoir demandé plus de renseignement, ne serait-ce qu’un truc aussi
bête que « PUTAIN MAIS J’INJECTE COMBIEN DE QUOI, ET OÚ ? ». Le
patient était atteint de drépanocytose (une maladie génétique, congénitale, qui
transforme les globules rouges en faucilles ce qui complique leur passage dans
les petits vaisseaux en raison d’une malléabilité diminuée), et présentait
effectivement un priapisme (une érection, très douloureuse, qui ne dégonfle
pas). Ce qui lui faisait donc la faucille et le marteau (pardon).
Pas une seconde à perdre, mon empathie sur le moment me
pousse à accélérer ma prise en charge, mais je ne sais toujours pas ce que je
dois faire. Plus qu’une solution… internet. Je cherche donc sur mon téléphone
et je trouve une explication sur la méthode d’injection. Presque 8 ans d’études
à ce moment…honte à moi. Finalement la méthode était la bonne, et le patient a
assez vite retrouvé un pénis au repos, non douloureux. Il me fallait maintenant
redescendre aux urgences. Woohoo ! Je me souviens encore du coup de
pression quand, une fois arrivé, j’ai ouvert la porte des urgences, entre le
couloir plein, les infirmières au bord de la rupture psychologique et le bruit des scopes. Sur un coup de tête,
j’ai décidé d’appeler le chef de service sur son portable (oui j’avais, par un
miracle bienvenu, son numéro de téléphone). Je lui résume la situation, et il
me répond qu’il arrive. Parfait. Maintenant allons prévenir les deux pokémons.
J’aurai mieux fait de me taire. Après leur avoir raconté mon coup de fil,
Chenipan a commencé à avoir mal au ventre et est allé vomir aux toilettes, et
Magicarpe m’a expliqué que c’était déplacé et que j’aurai du leur en parler
avant.
Trente minutes plus tard ; le chef de service est
arrivé, dans sa blouse blanche, tel le sauver des urgences. Il remarqua en
premier le visage diaphane, quoi qu’un fond vert était décelable, de Chenipan,
et… lui dit de rentrer chez elle avec un grand sourire parce qu’elle était
malade et que c’est surement pour ça que ça n’avançait pas. SERIOUSLY ? SERIOUS-FUCKING-LY ! Si
j’avais eu le courage, je me serai volontiers frapper la tête contre la porte
du bureau médical jusqu’à y laisser l’empreinte de mon visage, mon propre Saint
Suaire, sur une porte coupe-feu. Chenipan est donc rentré dans sa maison,
dormir, au chaud. Magicarpe s’est mise à accélérer son rythme (oui car passer
de 0 à 1 c’est quand même une accélération) et le chef de service m’a gentiment
expliquer qu’avec Magicarpe ils allaient faire sortir un maximum de patient et
qu’avec l’externe nous allions donc nous occuper des patients qui n’avaient qui
pas encore été vus. La pile de patient, sur leurs brancards, rangés en ligne
bien droite, sauf que contrairement à Tetris la ligne ne disparait pas. Au
contraire, avec le phénomène de foule, l’agacement de l’un a motivé l’autre à
s’énerver à son tour et ainsi de suite. Que du bonheur. La garde s’est ainsi
continuée sans interruption jusqu’au staff à 8h30 du matin. J’ai du dormi
pendant tout le staff, présentant mes patients en mi-éveil mi-sommeil, juste
sur activation automatique de mon cerveau primitif.
Après cette garde, j’ai toujours considéré ma console comme
un des objets que j’ai le plus mérité.
Récemment, j’ai appris par un ami qui s’est retrouvé à son
tour en stage aux urgences, que le même duo avait été reformé pour plusieurs
gardes, avec toujours aussi peu d’efficacité, même si depuis, le niveau de
bordel de ma garde n’a jamais été égalé. Par quoi j’avais débuté déjà ? Ah
oui : … perseverare diabolicum.
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