Après une première année assez difficile, à deux doigts de
me pousser à changer de métier (j’avoue avoir songé devenir troubadour sur les
routes d’Asie), il était temps que mon internat devienne autre chose qu’une
succession de journées pénibles, et que peut-être, soyons fou, je me mette à me
dire que « médecin ce n’est pas si mal ». J’ai donc décidé de prendre
le taureau par les cornes (après lui avoir donné un sédatif puissant, on n’est
jamais trop prudent). Pour mon prochain stage, je vais en choisir un qui est
conseillé par tous ceux qui y sont passés, où dans les commentaires de stage on
peut lire « A la fin du stage vous ne voudrez pas partir ». Tant pis
s’il faut que je traverse la moitié de l’Ile de France. Mais la chance était
avec moi sur ce coup, et je l’ai trouvé, cette perle rare, aux commentaires
dithyrambiques, à 5 minutes à pied de chez moi. Dans le même hôpital où j’ai
fait une grande partie de mon externat, là où j’étais passé pour mon stage aux
urgences en premier semestre. Ainsi fut fait le choix de la gériatrie.
Effectivement comparé à mes deux précédents stages c’était
le jour et la nuit. J’étais content d’y aller, pas mécontent que les journées
se terminent mais motivé le lendemain matin à l’idée d’y retourner. Le genre de
truc qu’on ne croit possible que dans les films anglais avec Hugh Grant. Il ne
me manquait plus qu’un fond de musique pop pour accompagner mon trajet matinal.
Une seule chanson parce qu’après j’étais déjà arrivé.
Encore une fois je tombe sur des co-internes du tonnerre (ça
ne fait pas trop vieux comme expression ? J’hésitais à utiliser « pas
piqués des hannetons » mais j’ai renoncé au dernier moment). Et l’équipe
était TOP-I-SSIME ! Les chefs à la fois, bienveillants, humains, drôles,
souriants (sauf une mais ce n’était qu’un premier abord, et avec le temps elle
s’est avérée être la petite fée bienveillante qui ne montre pas qu’elle est
derrière toi pour te pousser à t’autonomiser mais qui est là quand tu es sur le
point de faire une connerie), une équipe paramédicale à vous faire croire que
la cohésion médecin-infirmières-aide soignantes version série télé ça existe.
Que demande le peuple. (du pain et des jeux peut-être).
La gériatrie n’est pas un passage obligé dans la formation
médicale du médecin généraliste. Sa maquette l’oblige à faire un stage de
« médecine polyvalente ». Oh la jolie expression démagogique que
voilà. Mais bon, on n’est pas là pour partir dans des débats sémantiques et
rhétoriques, sinon on va rater « Les Reines du Shopping ». Je disais
donc qu’il fallait un stage de médecine polyvalente, ce qui inclut un sacré nombre
de stage dans les choix possibles en médecine générale. Par exemple, mon stage
de médecine interne validait ma maquette en tant que stage de médecine
polyvalente. Je n’avais donc aucune obligation de passer en gériatrie par la
suite, cela ne m’aurait pas empêché de valider ma maquette de stage et de
devenir médecin généraliste. Ce qui est un peu dommage, parce que, d’après vous
qu’est ce qu’on voit le plus en cabinet de médecine générale entre :
-
1) Une maladie de Kikuchi-Fujimoto
-
2) Une patiente de 85 ans en perte d’autonomie avec une
liste d’antécédents et de traitements plus grande que la rubrique nécrologique
de Game of Thrones
-
3) Une maladie de Chagas au retour du Venezuela
-
4) Un patient de 80 ans qui vient vous voir pour des
troubles du sommeil avec tellement de facteur de risque de chute que vous vous
demandez s’il ne faudrait pas tapisser son sol de matelas.
Un indice : Plusieurs réponses sont possibles.
Bref, tout ça pour dire que je pense que mon passage en
gériatrie a été probablement l’un des plus bénéfiques pour ma pratique actuelle.
Avec le recul, je me dis qu’à part pour les pédiatres et les obstétriciens,
chaque médecin, généraliste ou non, devrait passer dans un stage de gériatrie.
Parce que rien n’est plus différent qu’un patient de 40 ans avec un symptôme A,
un traitement B et une anomalie de bilan C, et un patient de 80 ans avec le
même symptôme A, le même traitement B et la même anomalie C. Vieillir ce n’est
pas juste avoir plus de bougies à souffler sur son gâteau d’anniversaire alors
qu’on a le souffle de plus en plus court. Vieillir c’est avoir un corps qui
réagira différemment aux médicaments, c’est avoir des symptômes différents pour
une même maladie par rapport à un patient de 20 ans de moins, voire même ne pas
avoir de symptômes du tout, c’est avoir des résultats de bilan en gras ou en
rouge ou avec une astérisque sans que ce ne soit pour autant des anomalies,
c’est avoir une autonomie différente, un entourage différent, une façon
différente de se plaindre ou de cacher des choses. C’est aussi une manière
différente de mourir, de se voir mourir. Vieillir ce n’est pas une maladie et
pourtant ça implique des symptômes, des changements, des handicaps. C’est aussi
parfois avoir des maladies qu’on ne traite pas, parce qu’il n’y a pas de
traitement, parce qu’on ne peut pas aller à l’encontre du vieillissement
cellulaire et de tout ce que ça implique, alors on vieillit en n’étant plus
soi-même et l’on ne peut rien y faire, et peut être qu’on ne s’en rend même pas
compte ou peut-être qu’on en souffre, mais personne ne le sait parce qu’on
n’est pas à même de le dire.
Comme le disait si bien Paul Claudel : « Il y a deux manières de vieillir, soit le
corps l’emporte sur l’esprit, soit l’esprit l’emporte sur le corps. »
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