lundi 14 septembre 2015

La gériatrie, ce passage indispensable. (Gériatrie)

Après une première année assez difficile, à deux doigts de me pousser à changer de métier (j’avoue avoir songé devenir troubadour sur les routes d’Asie), il était temps que mon internat devienne autre chose qu’une succession de journées pénibles, et que peut-être, soyons fou, je me mette à me dire que « médecin ce n’est pas si mal ». J’ai donc décidé de prendre le taureau par les cornes (après lui avoir donné un sédatif puissant, on n’est jamais trop prudent). Pour mon prochain stage, je vais en choisir un qui est conseillé par tous ceux qui y sont passés, où dans les commentaires de stage on peut lire « A la fin du stage vous ne voudrez pas partir ». Tant pis s’il faut que je traverse la moitié de l’Ile de France. Mais la chance était avec moi sur ce coup, et je l’ai trouvé, cette perle rare, aux commentaires dithyrambiques, à 5 minutes à pied de chez moi. Dans le même hôpital où j’ai fait une grande partie de mon externat, là où j’étais passé pour mon stage aux urgences en premier semestre. Ainsi fut fait le choix de la gériatrie.

Effectivement comparé à mes deux précédents stages c’était le jour et la nuit. J’étais content d’y aller, pas mécontent que les journées se terminent mais motivé le lendemain matin à l’idée d’y retourner. Le genre de truc qu’on ne croit possible que dans les films anglais avec Hugh Grant. Il ne me manquait plus qu’un fond de musique pop pour accompagner mon trajet matinal. Une seule chanson parce qu’après j’étais déjà arrivé.

Encore une fois je tombe sur des co-internes du tonnerre (ça ne fait pas trop vieux comme expression ? J’hésitais à utiliser « pas piqués des hannetons » mais j’ai renoncé au dernier moment). Et l’équipe était TOP-I-SSIME ! Les chefs à la fois, bienveillants, humains, drôles, souriants (sauf une mais ce n’était qu’un premier abord, et avec le temps elle s’est avérée être la petite fée bienveillante qui ne montre pas qu’elle est derrière toi pour te pousser à t’autonomiser mais qui est là quand tu es sur le point de faire une connerie), une équipe paramédicale à vous faire croire que la cohésion médecin-infirmières-aide soignantes version série télé ça existe. Que demande le peuple. (du pain et des jeux peut-être).

La gériatrie n’est pas un passage obligé dans la formation médicale du médecin généraliste. Sa maquette l’oblige à faire un stage de « médecine polyvalente ». Oh la jolie expression démagogique que voilà. Mais bon, on n’est pas là pour partir dans des débats sémantiques et rhétoriques, sinon on va rater « Les Reines du Shopping ». Je disais donc qu’il fallait un stage de médecine polyvalente, ce qui inclut un sacré nombre de stage dans les choix possibles en médecine générale. Par exemple, mon stage de médecine interne validait ma maquette en tant que stage de médecine polyvalente. Je n’avais donc aucune obligation de passer en gériatrie par la suite, cela ne m’aurait pas empêché de valider ma maquette de stage et de devenir médecin généraliste. Ce qui est un peu dommage, parce que, d’après vous qu’est ce qu’on voit le plus en cabinet de médecine générale entre :

-          1) Une maladie de Kikuchi-Fujimoto
-          2) Une patiente de 85 ans en perte d’autonomie avec une liste d’antécédents et de traitements plus grande que la rubrique nécrologique de Game of Thrones
-          3) Une maladie de Chagas au retour du Venezuela
-          4) Un patient de 80 ans qui vient vous voir pour des troubles du sommeil avec tellement de facteur de risque de chute que vous vous demandez s’il ne faudrait pas tapisser son sol de matelas.

Un indice : Plusieurs réponses sont possibles.

Bref, tout ça pour dire que je pense que mon passage en gériatrie a été probablement l’un des plus bénéfiques pour ma pratique actuelle. Avec le recul, je me dis qu’à part pour les pédiatres et les obstétriciens, chaque médecin, généraliste ou non, devrait passer dans un stage de gériatrie. Parce que rien n’est plus différent qu’un patient de 40 ans avec un symptôme A, un traitement B et une anomalie de bilan C, et un patient de 80 ans avec le même symptôme A, le même traitement B et la même anomalie C. Vieillir ce n’est pas juste avoir plus de bougies à souffler sur son gâteau d’anniversaire alors qu’on a le souffle de plus en plus court. Vieillir c’est avoir un corps qui réagira différemment aux médicaments, c’est avoir des symptômes différents pour une même maladie par rapport à un patient de 20 ans de moins, voire même ne pas avoir de symptômes du tout, c’est avoir des résultats de bilan en gras ou en rouge ou avec une astérisque sans que ce ne soit pour autant des anomalies, c’est avoir une autonomie différente, un entourage différent, une façon différente de se plaindre ou de cacher des choses. C’est aussi une manière différente de mourir, de se voir mourir. Vieillir ce n’est pas une maladie et pourtant ça implique des symptômes, des changements, des handicaps. C’est aussi parfois avoir des maladies qu’on ne traite pas, parce qu’il n’y a pas de traitement, parce qu’on ne peut pas aller à l’encontre du vieillissement cellulaire et de tout ce que ça implique, alors on vieillit en n’étant plus soi-même et l’on ne peut rien y faire, et peut être qu’on ne s’en rend même pas compte ou peut-être qu’on en souffre, mais personne ne le sait parce qu’on n’est pas à même de le dire.


Comme le disait si bien Paul Claudel : « Il y a deux manières de vieillir, soit le corps l’emporte sur l’esprit, soit l’esprit l’emporte sur le corps. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire