Errare humanum est…
et des erreurs j’en ai faite. Tout le monde en fait. Celui qui le nie est soit
un menteur, soit… non c’est juste un menteur. Il y en a des plus ou moins
graves, selon les conséquences. Il y a les erreurs conscientes, et les erreurs
d’inattention. Si vous ajoutez à cela la théorie du chaos qui dit qu’un simple
battement d’aile de papillon peut provoquer une tornade, imaginez ce que peut
faire un interne de troisième semestre étourdi.
Mr N, est arrivé, silencieusement, simplement, dans le
service. Sa femme, Mme N, qui jusque là s’occupait de son mari et de sa perte
d’autonomie, au domicile, s’est mise à avoir le cerveau qui ne fonctionnait
plus comme prévu. Ses troubles bipolaires, alors discrets jusque là, se sont réveillés
et la voilà hospitalisée en pleine crise maniaque à vouloir refaire le monde,
prête à donner toutes ses économies pour ouvrir une boulangerie dans le fin
fond de la Cordillères
des Andes. Beau projet. Mais je peux comprendre que sa famille et son mari
aient décidés de l’emmener aux urgences. Résultats, les deux amoureux se
retrouvent dans le service de Gériatrie. Mais les chambres ne sont pas mixtes
et il a fallu improviser avec les chambres de libres au moment de leur arriver,
alors ils ne sont ni dans la même chambre, ni dans la même aile du service et
ce n’est pas le même interne qui s’occupe d’eux.
Pendant que ma collègue gère la multiplication des projets
pharaoniques que l’esprit de Mme N génère pour sauver la planète à moindre
frais, je me retrouve avec Mr N, qui a comme antécédent une arthrose avancée
des deux genoux et des deux hanches qui limitent considérablement ses
déplacements. Son seul traitement : paracétamol. Parce que Mr N ne se
plaint pas. Il dit qu’il a mal, mais « ça va aller docteur ». Son
seul souci c’est qu’il est inquiet pour sa femme. C’est beau. Ils sont mariés
depuis plus de 50 ans et l’amour qu’il a quand il parle d’elle va à l’encontre
de tout ce qu’on peut lire sur les relations de nos jours. Il l’aime tellement
que je suis à deux doigts d’appeler Daniel Lavoie pour qu’il en fasse une
chanson. Au moins, ma visite se passe bien, vu que la prise en charge de Mr N
consiste à s’assurer que sa douleur ne lui pose pas trop de problème et que
malgré sa mobilité réduite une certaine activité est maintenue pour lui éviter
des escarres. Je lui répéttequ’il ne faut pas hésiter dire s’il a mal, qu’il
existe des médicaments plus fort que le paracétamol. Et qu’au pire s’ils ne les
tolèrent pas, il y en a encore d’autres.
Puis, un vendredi, avant un week-end où j’étais d’astreinte,
le chef vient me voir dans le bureau des internes.
-
« Je viens de recevoir un coup de fil de l’unité
d’hygiène, tu pourrais me ressortir le dossier de Mr N s’il te plait »
En bon interne, je m’exécute. Il faut dire que le chef n’est
pas quelqu’un à qui on dit non. Il n’est pas tyrannique, loin de là, c’est même
l’un des chefs les plus humains avec le personnel, dont nous les internes, et
les patients. Il veut que le travail soit fait, bien fait, mais il sait aussi
que l’hôpital n’est pas notre vie, que nous sommes en plein apprentissage et
cela se ressent dans sa manière de nous superviser. C’est motivant. On se dit
que si on devait être chef un jour, il faudrait se souvenir de son exemple pour
l’appliquer, parce qu’au final il donne bien plus envie de s’investir qu’un
chef désagréable qui pense que le respect est une question de hiérarchie.
Bref, je me retrouve à sortir le dossier de Mr N et à lui
tendre. Il feuillette, tourne quelques pages, sort une pochette bleue, une
rose, une verte et s’exclame :
-
« ah oui, tiens. Ton patient, Mr N, il est porteur
d’une BMR »
-
Puis il me tend le compte rendu d’une hospitalisation de Mr
N dans un autre hopital, il y a de cela 2 mois, pour chute sans complication,
avec nota bene, à la toute fin, en gras « Patient porteur d’une
BLSE (un type de BMR) ».
Les BMR, ou bactérie multi-résistante, c’est un peu comme les
méchants dans les Sentaï, type Bioman. On gagne des combats contre eux, et à un
moment ils en ont marre et ils décident d’utiliser des pouvoirs cosmiques pour
prendre la taille de Godzilla et on est obligé de faire intervenir le robot
géant en kit pour le combattre, qui en l’occurrence est ici un bon gros
antibiotique que l’on n’aime pas trop sortir des placards parce qu’il coute
l’équivalent du PIB d’un pays africain et surtout parce que comme après un
combat entre un gros monstre et un robot géant, même les fois où les gentils
gagnent, le combat a quand même détruit la moitié de la ville.
Par conséquent, Mr N aurait du être mis en chambre seul et
de nombreuses précautions auraient du être prise du coup. Ce qui ne fut pas le
cas. Ici, fort heureusement, la bactérie est latente dans le tube digestif du
patient. Elle ne provoque pas de symptomes ni de maladie et ne nécessite donc
pas qu’on la traite. Mais comme toute bactérie, elle n’en reste pas moins
transmissible, d’où l’importance des précautions pour éviter tout contamination
des autres patients, sinon cette bactérie arrivera jusqu’à un patient chez qui
elle sera symptomatique, et là ça va poser un réel problème.
Devant mon inattention, Mr N avait passé plusieurs jours en
chambre double, avec du personnel soignant qui passait de sa chambre à une
autre en étant autant de transporteur possible de la bactérie. Pour limiter la
casse, il fallait désormais tester chaque patient du service pour savoir qui
était porteur de la bactérie, et d’ici à ce que les résultats sortent, pas
d’entrée, pas de sortie.
Et c’est ainsi que le service se retrouva en quarantaine. Ce
n’est pas exactement comme dans les films et les séries. Il n’y a pas de grille
qui tombe au sol pour enfermer tout le monde, ni de barrage policier pour
s’assurer que personne ne rentre ni ne sorte. Personne ne vient nous voir avec
des combinaisons couleur canarie et des masques qui vous font parler commeDark
Vador.
Une quarantaine dans le monde réel c’est beaucoup moins
sexy, moins classe.
Ça se résume à moi, faisant un prélèvement rectal sur 36
patients, à la suite un vendredi soir, pour avoir oublié de lire correctement
cette page du dossier, qui était sous mon nez depuis le début avec écrit
« porteur d’une BMR ». Par la suite il n’y a donc eu ni entrée, ni
sortie d’hospitalisation pour les patients
jusqu’à la sortie des résultats. Autant vous dire que j’ai passé un week
end d’astreinte assez tranquille.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire