4 mois de remplacement. Certaines choses se mettent en
place. C’est la fin de la deuxième période de vacances, synonyme de
remplacement à temps plein pour beaucoup.
Dire qu’il y a un peu plus de 4 mois j’étais encore interne,
en fin de saspas, cherchant des remplacements pour continuer à avoir un
salaire. Le libéral, cela était devenu une évidence depuis longtemps, l’hôpital
n’est pas fait pour moi, il peut parfaitement convenir à certaines personnes,
il n’est ni mieux, ni moins bien que le libéral, il est juste différent, et cette
différence faisait que la simple idée pour moi d’y travailler était
inimaginable.
M’installer ? Ahah. En 2016, en région parisienne, sans
aucune économie sur mon compte, avec toute la difficulté que cela peut
représenter, physiquement, psychologiquement, économiquement. Non seulement
cette hypothèse m’effrayait plus que l’idée d’être seul avec une lampe torche
et des piles en fin de vie à bord du Nostromo, mais en plus je ne savais rien
de ce qu’il fallait faire administrativement, ou bien sur le plan logistique. Peut être suis-je un assisté, qui a besoin qu'on lui explique tout, c'est même fort probable. Certes il
y a des congrès pour ça. Mais je n’ai jamais eu (pris) le temps d’y aller, et j’aurai
aimé que ma fac aborde ce sujet de manière intensive plutôt que de développer
la « marguerite des compétences », jusqu’à ce que j’en arrive à haïr
cette fleur et cette expression de manière viscérale. Sérieusement, cette
expression me fait le même effet qu’« au jour d’aujourd’hui » ou « je
dis ça je dis rien ». C’est un paradoxe que je ne comprends pas, pendant
les 3 années de DES, on nous a fait comprendre que ne pas faire du libéral
serait de la haute trahison envers nos pairs, mais à coté de ça nous n’avons tout
simplement pas été préparé, formé, informé pour nous installer. Je ne suis pas exempt de tout reproche quant à ma non préparation pour une possible installation, mais j'avais l'impression qu’enchaîner juste après la fin de l'internat c'était comme sauter dans un fossé sans en connaitre la profondeur. Et de toute façon (attention excuse bidon incoming), je ne suis pas thésé.
L’heure était donc aux remplacements. Epluchage de petites
annonces, coup de fil, l’annonce publiée
la veille au soir, était déjà obsolète le lendemain à 10h, le poste étant déjà pris. J’aurai du m’y
prendre bien plus à l’avance, j’ai été léger sur ce coup, mais ça je ne l’ai
compris que sur le moment.
Finalement après plusieurs appels, un poste était libre, une
annonce parue à peine 2h avant. Deux cabinets, deux médecins se connaissant,
cherchant un remplaçant pour travailler entre les deux cabinets. Assez de jours
pour que cela soit viable économiquement, une localisation abordable pour un
non véhiculé comme moi, un bon feeling téléphonique, des phrases agréables à
entendre, « c’est votre premier remplacement ? C’est pas grave, on a
tous commencé un jour. », l’air de rien ça fait plaisir à entendre.
Les remplacements ont commencé très vite, initialement avec
un patient toutes les 20 minutes. Ce qui plus difficile que ce que je croyais,
surtout quand il faut reprendre tout le dossier, comprendre les indications des
différents traitements en cours, essayer de percevoir la psychologie du patient
pour savoir comment établir une bonne relation médecin-patient et ne pas partir
dès le premier rendez-vous sur de mauvaises bases.
Les premières semaines ont permis de comprendre un phénomène
auquel je n’avais jamais pensé jusque là : « la perception du remplaçant
par le patient ».
Je pense que la majorité des patients me voyait simplement
comme un médecin présent un jour où le cabinet aurait été fermé si je n’avais
pas été la, mais pour certains, et c’est toujours de ceux là dont on se
souvient le plus, ce fut un peu plus compliqué.
« Vous êtes jeune, vous avez fini vos études ? »
dit le sur le ton de l’inquiétude plus que de la curiosité
« Vous faites les vaccins ? »
« Oh non, ben je reviendrai une autre fois… »
« Bon, tant pis, vous pouvez me prendre un rdv avec le
Dr Remplaçé »
« Ah, c’est 23 euros, même avec un remplaçant ? »
J’en oublie, beaucoup.
Je ne vais pas détailler non plus les 4 derniers mois qui
viennent de passer. Je n’en ai ni l’envie, ni la motivation, et en plus ce
serait, je pense, chiant à lire.
Mais il y a quelques patients qui m’ont marqués, déjà. Je ne
pensais pas que cela irait si vite.
Aujourd’hui je ne parlerai que d’une, parce que ce billet est
déjà assez long (et aussi par flemme, mais ça il ne faut pas le dire)
Mélodie (il s’agit bien sur d’un faux nom), a 16 ans. Elle
est venue me voir au début de mes remplacements pour son acné, cela la gênait. Elle n’était
pas très bavarde. En premier lieu, je me suis dit qu’elle était bien une
adolescente, assise, le regard sur ses genoux, silencieuse, presque absente de
la consultation.
Et c’est la que twitter est arrivé. Twitter est devenu, sur
la fin de mon SASPAS et le début de mes remplacements, mon GEP (groupe d’échange
de pratique) quotidien, mais aussi mon Balint quand cela s’avère nécessaire. S’il
y a bien une chose que je sais, c’est que même si je suis encore infiniment
perfectible dans ma pratique de la médecine générale, je serai infiniment plus
mauvais si je n’avais pas twitter et une interaction quotidienne avec les twittos
médicaux. Je ne parle pas que de connaissance médicale, médecine EBM,
recommandations, etc, mais aussi, et surtout, de rapport humain, d’empathie, de
compassion envers le patient, son entourage, de remise en question de mes
projections, de réaliser que ce qui est évident pour moi ne l’est pas forcément
pour celui qui est de l’autre coté du bureau, que les craintes, les angoisses
ne sont peut être, non seulement pas les mêmes, mais peut être diamétralement
opposées.
Une question aussi bête que « Mais vous, qu’est ce qui
vous inquiète ? » peut renverser une consultation, et vous faire à la
fois gagner beaucoup de temps mais surtout rendre la consultation bien plus
productive et bénéfique pour le patient. Cette simple question c’est par
twitter que j’ai appris à la
poser. Et des exemples comme ça j’en ai à la pelle.
Une autre chose bien
avec twitter, et promis après j’arrête de vous embêter avec ça, c’est que les
échanges ne se font pas qu’entre médecins généralistes, on apprend et on
progresse aussi grâce aux spécialistes, aux pharmaciens, aux infirmiers, libéraux
et hospitaliers, et même aux personnes hors d’une profession de santé qui amènent
leur vécu, leurs arguments, leurs reflexions en tant que patient. Bon, il y a
toujours des trolls dont les interventions me font parfois perdre un peu foi en
l’humanité, mais ils ont souvent le bon gout de bloquer la majorité de ma tweet
liste et moi y compris, donc tout le monde y gagne. Pour vivre heureux vivons
bloqué.
Revenons en à Melodie. Qui n’est pas qu’une adolescente, et
qui ne parle pas en consultation « parce
que c’est une adolescente », du moins pas que. Je décide alors de faire
sortir sa mère, sans que cela ne semble poser de problème à personne. Et je
continue la consultation avec Melodie. A partir de là commence une nouvelle
consultation, avec un échange, une vraie relation médecin-patient. Nous parlons
de son acné, des cours, de l’ambiance à la maison, elle m’explique qu’elle a un
copain depuis 3 mois, je lui demande s’ils ont dejà eu des rapports ensemble,
elle me dit que non, je lui demande si ses cycles sont réguliers, pas trop
douloureux, elle n’a pas de contraception, je lui dis que si un jour elle veut
en reparler elle peut revenir sans souci.
Un mois plus tard, Mélodie revient, avec sa mère, pour une
des maux de tête, depuis quelques jours, sans fièvre, sans traumatisme, je ne
retrouve aucun facteur déclenchant particulier, personne n’est migraineux dans
la famille, il n’y a pas de prodrome, ça passe avec du doliprane mais sa mère
voulait s’assurer que tout allait bien. L’examen étant parfait, il s’agit d’une
consultation de réassurance. Mais cette fois Mélodie participe un peu plus à la
consultation même en présence de sa mère. Cette dernière, qui avait monopolisé
la dernière consultation jusqu’à ce que je la fasse patienter en salle d’attente
s’est cette fois mué en accompagnatrice.
Récemment, Mélodie est revenue. Et vous ne pouvez pas
imaginer comme cela m’a fait plaisir. Elle est venue, seule. Ce n’est pas,
comme on pourrait l’appeler s’il fallait donner un cours de tutorat de médecine
générale « une consultation de l’adolescent », non c’est la
consultation d’une patiente, tout simplement. Sa relation avec son copain
devient « sérieuse » et elle voudrait parler des différentes
contraceptions.
Vous ne pouvez pas imaginer à quel point j’étais heureux, de
savoir qu’en 3 mois, cette patiente que je ne connaissais pas, qui était un fantôme,
caché derrière ses cheveux, phagocyté par la logorrhée de sa mère, était
devenue une patiente à part entière, avec ses choix, ses doutes, ses questions,
son autonomie, sa liberté sur son corps et sa santé.
Je suis quasiment certain, que cette consultation n’aurait
jamais existé sans les twittos médicaux. Alors merci à eux, de me rendre moins
con, et de me pousser à repenser ma pratique tant sur le plan biomédical que
sur le plan humain, merci pour mes patients et moi.
Quel beau texte - très balintien. (Fun Fact : dans les remerciements de mon dernier roman, j'ai inclus les Twittos. :-) Alors j'adhère doublement - au contenu médical, et au message sur le partage. Amicalement. MW
RépondreSupprimerdécouvrir que je e suis pas seul à hair la marguerite des compétences, à me sentir totalement perdu dans le libéral... je suis en SASPAS et ma fac ne nous forme pas à cela...
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