jeudi 3 mars 2016

Yggdrasil chapitre 2

Chapitre 2

            Une odeur de brulé accompagnait la fumée noire qui s'échappait du dessous de la porte du bureau. Personne ne sembla s'en inquiéter, et les étudiants continuaient leur chemin sans y prêter attention.

            — Une pincée je t'avais dis.
            — Oui, ben c'est ce que j'ai mis.
            — Ah bon ? Donc pour ton mettre l'équivalent d'un poing entier c'est une pincée ? Et bien, il va falloir revoir tes définitions parce qu'à ce rythme là tu n'es pas prête de faire une potion correcte.
            — Tu m'énerves, tu le sais ça ? Tu critiques, toujours, sans arrêt, mais à part être posé sur mon épaule à juger tout ce que je fais et à prodiguer des mauvais conseils, tu n'es pas d'une grande utilité.
            — Je te rappelle qu'au départ c'est toi qui m'a donné la capacité de parler. J'aurai pu être un animal de compagnie comme tous les autres mais non, madame a voulu faire des expériences. Et qui se plaint aujourd'hui ?.
            — Oui, ben pardon, mais en tout cas maintenant personne ne t'oblige à rester avec moi, ton pouvoir ne t'oblige pas à vivre éternellement sur mon épaule.
            — Attention, ne joue pas à ce jeu là avec moi.

Doc Marmotte retrouva son calme, elle versa une potion d'annulation dans sa mixture noirâtre. La fumée s'évapora en un clin d'œil, comme réabsorbée subitement par le chaudron, seul demeurait maintenant l'odeur de brulé qui avait déjà imprégné la pièce.

            — Bon, maintenant que tu as fini de recouvrir l'étage avec les effluves de ton échec, est-ce que je peux avoir droit à ma ration ?
            — Tu es une vile créature, et oui, la voilà ta ration.

Sur ces mots, Doc Marmotte prit un petit sachet de granulés bleus dans sa poche et en versa quelques uns sur la paume de sa main gauche, qu'elle monta au niveau de son épaule. Le ragondin les sniffa d'une traite avant de laisser échapper un petit bruit de jouissance et de s'affaler, n'étant plus retenu à sa maitresse que par sa queue disposée en crochet le long de son cou.

            — Souristine veut te voir? dit une voix derrière la porte.

Doc Marmotte déposa délicatement le ragondin sur un petit coussin avant de sortir de sa chambre en marche rapide. Personne ne faisait attendre Souristine. Elle traversa le patio qui séparait sa chambre de la salle principale du bâtiment. Des dizaines d'apprentis sorciers  profitaient en plein air d'un des courts moments de répit qu'ils avaient entre deux enseignements. Quelques uns la saluèrent, mais perdue dans ses pensées Doc Marmotte ne leur répondit pas.

La grande porte du bureau principal s'ouvrit à son arrivée.
Souristine était assise à son bureau, l'air inquiet. Cette pièce était sacrée pour tous les occupants de l'académie, élèves et professeurs. Peu de gens avaient vu ce bureau. En bois d'érable millénaire, il semblait peser plus lourd que le monde lui même. Ses contours, sculptés, relataient les combats des mages lors de la dernière guerre de la lune noire. Souristine était assise, le dos si droit qu'on aurait pu la croire suspendu par un fil. Des dizaines de feuilles s'étaient éparpillées sur le bureau, une plume de phoenix blanc était posée sur la pile centrale. Si cette plume n'existait pas, beaucoup pourrait penser que le phoenix blanc n'est qu'une légende, son apparition n'ayant été relevé que quatre fois dans l'histoire. Souristine  discutait avec un homme que Doc Marmotte avait l'impression d'avoir déjà vu mais aucun nom ne lui revenait. Il était de taille moyenne, d'un aspect discret, manteau sombre et lourd. Sa carrure n'était pas impressionnante mais pourtant sa prestance poussait à s'en méfier. Doc Marmotte se souvint s'être déjà fait cette remarque par le passé mais sans plus de précision.

Souristine coupa sa discussion avec l'homme d'un geste de la main et se tourna vers Doc Marmotte.
            — Asseyez-vous, s'il vous plait.

Un siège ayant été préalablement posé devant elle à cet effet, elle s'exécuta sans attendre.

            — Je vous ai fait venir pour vous soumettre une mission importante. Connaissez-vous Qffwffq[1] notre ami ici présent ?
            — Oui.

Cherchant dans sa mémoire, Doc Marmotte tenta de remettre une situation, un lieu, un moment sur ce visage, mais tout ce qui lui revenait c'était une impression peu agréable, non pas de danger, mais d'antipathie. Il ne fallait rien laisser paraitre. Sa présence devant Souristine l'imposait, et quelque serait la mission dont elle venait de parler, il lui faudrait répondre par l'affirmative, sa place ici en dépendait.

            — Je voudrais que vous partiez avec mon ami ici présent et que vous alliez aux mines éternelles. Une perturbation majeure de l'Ether y a été détectée et je veux savoir de quoi il retourne.

            — Comme vous le souhaiterez. Mais pourquoi moi ? Pourquoi que nous deux ? demanda Doc Marmotte.
            — Parce qu'il doit en être ainsi. Cela vous dérange t'il Qffwffq ?
            — Non.

Ce furent ses seuls mots, avant que Souristine ne les congédie, après les avoir invités à mener à bien leur mission dans les plus brefs délais.

Les portes se refermèrent derrière les deux nouveaux coéquipiers.

            — Vous avez un cheval ? demanda Doc Marmotte pour essayer de lancer une conversation.
            — Oui.
            — De toute évidence, je n'aurais pas de phrase complète de votre part pour aujourd'hui ? dit avec cynisme.
            — Nous avons une mission, le plus important est de la mener à bien rapidement, et il me semble que le principe de cette mission n'est aucunement de faire connaissance.

Il y eut un silence et Qffwffq reprit.

            — Cela vous convient il comme phrase complète ?

Sans attendre sa réponse, il se retourna et se dirigea vers les écuries. Doc Marmotte répéta la dernière phrase de son coéquipier sans articulier, en signe de moquerie, mais discrètement pour ne pas que ce dernier ne le remarque.

            — Je vais préparer mes affaires, je vous retrouve aux écuries, conclut-elle.

**

La canopée ne laissait passer qu'un léger fil de lumière qui se dessinait en arabesques infinies au sol. Le convoi avançait à faible allure. Il faut dire que la qualité de la route n'aidait pas. A l'origine, le chemin des soupirs devait servir de route principale dans la foret des EBM, mais dès son ouverture, les vols, pillages et rapts en série avaient vite fait d'en faire le trajet à éviter. Malheureusement, aucune autre ébauche de route n'avait été entamée en remplacement et ce chemin resta, paradoxalement,  le plus sur pour ne pas se perdre. Son nom lui venait de la première réaction des gens lorsqu'on leur demandait ce qui était arrivé à leurs marchandises une fois qu'ils en sortaient.

Faisant fi des avertissements et des rumeurs, légendes, et témoignages, un commanditaire avait demandé que sa marchandise, arrivée depuis la mer, au delta de l'Erygma, soit acheminée via ce parcours maudit jusqu'à Vorrim. Mais ne voulant rien laisser au hasard, il recruta une escorte dont la renommée n'était plus à faire, le Fléau.

Le convoi se composait d'un seul chariot, un cube géant en bois avec quatre roues, sans fenêtre, ni le moindre espace pour en deviner le contenu. Il était conduit par un seul cocher dirigeant les 2
deux chevaux. Quatre cavaliers couvraient les angles en permanence. Leurs masques ne révélaient ni leur race, ni leur sexe. Huit guerriers, à pied, fermaient la marche du convoi. Quant au Fléau, il était devant et ouvrait le passage.

            — Halte.

Cet ordre semblait venir de la droite de la route, mais personne ne se présenta.

Sans Trema leva sa main droite, faisant ainsi signe au convoi de s'arrêter.

            — Continuez votre chemin en abandonnant le chariot ici et il ne sera fait de mal à personne, ajouta la mystérieuse voix.

Sans Trema baissa sa main, mais personne ne bougea.

            — Ceci est un ultimatum. Nous vous tuerons tous si vous forcez le passage ou si vous ne faites pas ce que nous demandons, menaça l'inconnu, toujours caché.

Une flèche siffla. Puis un cri. Et un choc.

Un homme venait de tomber du haut d'un arbre après avoir reçu une flèche d'Uberklaus dans la cuisse. Il ne lui avait fallu que trois phrases pour localiser sa cible et faire mouche.

            — Tu veux bien aller l'interroger pour savoir s'il est seul ou s'il va falloir en faire un exemple, s'il te plait,  demanda Sans Trema au troisième membre du Fléau.

Le pauvre voleur, car oui nous pouvons dès à présent le plaindre de son sort, vit alors une orque descendre de son loup et s'approcher de lui, d'un pas aussi lent que terrifiant. Sa peur fut telle qu’il en oublia un instant la douleur que générait cette flèche qui lui traversait la cuisse.

Le marteau de guerre que l’orque portait n'annonçait rien de bon.

Une fois devant lui, elle fit un tour avec son bras et fracassa le crane du voleur, sans sommation.
Elle se tourna vers ses deux acolytes.

            — Il voulait servir d'exemple, ça se voyait dans ses yeux.

Jaddo arracha une partie de la chemise du voleur, et essuya son marteau recouvert d'un mélange de sang, d'os et de matière grise.

La foret laissa alors apparaître plusieurs dizaines d’homme, cachés jusque là, en embuscade, des deux cotés de la route, qui fuirent à grandes enjambés.

            — Pff, aucun courage, s’exclama Jaddo en retournant vers son loup.
            — Reprenons la route, annonça Sans Trema au reste du convoi.

C'était la troisième fois que le convoi était "attaqué", depuis son entrée dans la foret, avec toujours le même résultat.

La route s’avéra plus pacifique pendant quelques heures. L’hypothèse d’une arrivée à Vorrim sans nouvelle embuscade commençait presque à germer.

Soudain le convoi s’arrêta. Aucun des membres du Fléau n’avait ordonné cette pause.

Les 3 guerrières se retournèrent pour  comprendre ce qu’il se passait, mais les soldats restaient impassibles, le cocher était immobile.

            — Pardon, mais on peut savoir ce qui vous arrive ? demanda Sans Trema, non sans une pointe d’agacement.

Personne ne bougea, aucune réponse.

Sans Trema descendit de son cheval et s’approcha du chariot en espérant que la proximité de son épée pousserait quelqu’un à répondre à sa question.

Alors qu’elle approchait du convoi, les 8 guerriers qui étaient à l’arrière se mirent en mouvement et s’intercalèrent entre elle et le chariot.

            — Je peux savoir ce que c’est que ce délire ? s’énerva Sans Trema.

Jaddo descendit de son loup et alla rejoindre Sans Trema. UberKlaus ne bougeait pas de son cheval.
Les guerriers se mirent alors autour des deux guerrières. Le bruit des épées sortant de leur fourreau exalta Jaddo.

            — Et moi qui avait peur de m’ennuyer avec cette mission, me voila ravie, s'extasia l'orque.

Le combat fut lancé quand une première épée tenta de frapper le flanc droit de Jaddo. Le coup était précis et rapide. Si elle n’avait pas utilisé le renforcement d’armure au niveau de son avant bras droit pour dévier la lame, un tel coup aurait pu lui être fatal. Profitant de l’espace que lui libéra ce dégagement, elle utilisa le pommeau de son marteau pour frapper son ennemi à la mâchoire. Dans son élan, elle aurait pu le tuer si une autre épée n’était pas venue s’intercaler entre elle et la tempe de son adversaire. Sans Trema dut éviter un coup quasiment similaire, mais se baissa en plus pour esquiver une deuxième attaque, elle en profita pour sectionner deux chevilles.

Les quatre cavaliers se mirent alors à galoper en direction d’UberKlaus. Elle eut le temps de décocher une flèche qui transperça le front du cavalier le plus à droite, avant de demander à son cheval de se dégager de l’axe principal. Elle savait qu’en mouvement, même à courte distance du groupe, elle aurait un avantage certain.

Jaddo reçut un coup de pied au niveau du creux poplité gauche qui lui fit poser genou à terre. Cela ne manqua pas d’attiser sa colère. Elle fractura le nez de celui qui lui faisait face et dont la lame commençait à s’abattre sur elle. Elle fit une roulade sur le coté droit et brisa le genou droit de l’homme qui était à sa portée. Profitant de sa chute, elle lui arracha son épée et la lança vers un autre ennemi qui tomba au sol, le sternum coupé en deux.

Sans Trema extirpa son épée de la gorge d’un des assaillants dont le cri de douleur fut étouffé par le sang qui noyait sa trachée. Dans un mouvement de moulinet calculé, elle sectionna par la même occasion la carotide de celui qui s’approchait sur sa droite.

UberKlaus faisait le tour du convoi, à une allure fixe. Un deuxième cavalier fit les frais de son adresse au tir. D’une flèche, UberKlaus sectionna les attaches gauches de sa selle. L’homme bascula sur le coté et termina au sol, mort, après que son visage fit la connaissance rapprochée d'un tronc bien trop solide pour ses cervicales.

Ils n’étaient plus que trois à tenter d’attaquer Sans Trema et Jaddo. Elles se mirent alors dos à dos et anticipèrent l’attaque de leurs ennemis, prenant l’initiative à leur compte.

Il ne fallut que 4 coups pour que les trois guerriers restants se retrouvent au sol. En cinq morceaux distincts.
UberKlaus venait mettre de un troisième poursuivant au sol, d’une flèche qui fit chatouilla sa rétine droite avant de ressortir par son os occipital. Le dernier cavalier passa à portée de Jaddo. Elle ramassa son marteau et lui lança au visage. Au sol, le cavalier repris ses esprits pour voir qu’il était à vingt centimètres du sol, tenu par le cou, son casque n'était plus là et les crocs d'une orque en colère frôlaient sa mâchoire.

            — Pourquoi, vous nous avez attaqué ? demanda Jaddo.

Aucune réponse.

Elle s’énerva.
            — Réponds où je te fais compter tes os au rythme  de leurs craquements.

La peur pouvait se lire sur le visage du dernier survivant du Fléau, mais aucun son ne sortait de sa bouche.

Dans un accès de colère, elle le projeta contre un arbre. L’homme fut transpercé de part en part par une branche solide.

Sans Trema s’approcha et examina le corps

            — Regardez. Son cou. C’est un tatouage.

UberKlaus prit un petit couteau et découpa la peau autour du tatouage.

            — On demandera, une fois à  Vorrim si quelqu’un connaît ce dessin, moi il ne me dit rien.
            — Venez voir, hurla Jaddo qui venait de casser un coté du chariot principal avec un coup massif.
            — Des chaines, des attaches, mais pour une seule personne. Et aucun prisonnier. Qu’est ce que c’est que ce délire ? s'interrogea Uberklaus.
            — Je n'aime pas trop ça, répondit Sans Trema.
            — Heureusement que nous avons déjà été payé, souligna Uberklaus.
            — Allons à Vorrim pour voir si quelqu’un peut nous éclairer sur tout ça, que l’on aille ensuite trancher la tête du responsable, conclut Jaddo.
**

Qffwffq et Doc Marmotte venaient de partir. Le bureau de Souristine était plus sombre que d’habitude. Seuls quelques bougies empêchaient l’obscurité de dominer la pièce.

            — J’ai fait ce que tu m'avais demandé dit la magicienne, assise, droite, devant son bureau, semblant parler dans le vide, j’espère que tout se passera comme prévu » ajouta t’elle.

Il y eut un silence plusieurs secondes avant qu’une autre voix féminine ne se fit entendre depuis le recoin le plus sombre de la pièce.

            — Tout ira pour le mieux. Tu as fait ce qui était nécessaire.
            — Tu ne m'as pas vraiment laissé le choix, argumenta Souristine.

Aucune réponse. Elle était de nouveau seule dans son bureau.




[1] le nom de ce personnage  est ici retranscrit selon ce qui pourrait s'en rapprocher le plus phonétiquement parlant, mais il est techniquement impossible pour l'auteur d'écrire le nom exact de ce personnage. Merci de votre compréhension

1 commentaire:

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