samedi 17 octobre 2015

Beethoven, biographie condensée, et œuvres selon les époques. (Partie 1/?)

Beethoven lui-même portait une veste d'une étoffe à longs poils gris foncé et un pantalon de même, de sorte qu'il me fit penser toute de suite à l'image de Robinson Crusoé de Campe, que je lisai alors. Ses cheveux noirs comme de la poix, coupés à la Titus, de répandaient autour de sa tête. Sa barbe, vieille de plusieurs jours, rendait encore plus noire la partie inférieure de son visage déjà brun sans cela. Avec le regard rapide habituel aux enfants, je remarquai tout de suite qu'il avait du coton dans les oreilles, qui semblaient humides d'un liquide jaunâtre.  Ferdinand Ries.

17 décembre 1770, Ludwig Van Beethoven vient au monde à Bonn, dans une Allemagne sans cohésion politique, qui n'est qu'un amas d'une multitude de petits états. Bonn dépend à cette époque directement de la gouvernance de Vienne, siège du Saint Empire germanique et résidence des Habsbourg. Portant le même prénom que son grand père paternel, qui jouissait dans la région d'une renommée via ses qualités musicales,  ce qui n'est pas vraiment le cas de son fils, le père de Ludwig (vous suivez ?),  qui est plutôt connu pour son amour inconditionnel pour la boisson. Il épousera Maria Magdalena Keverich, fille d'un chef cuisinier, reniée par Ludwig (le grand père), avant du'une bénédiction tardive ne vienne apaiser les rancoeurs. Maria Magdalena est souvent décrite comme une personne calme, douce, patiente, la majorité du temps, mais capable de sautes d'humeur remarquables à faire trembler les piliers de la Création. De par ses échanges épistolaires, on devine que son mariage n'est pas pour elle une réussite, décrivant souvent le célibat comme une source de vie tranquille et agréable en opposition au mariage qui selon elle est porteur de chagrin.

Ludwig sera le deuxième enfant du couple, le premier se prénommant aussi Ludwig mais étant mort à l'âge de 4 jours. Au total, Ludwig aurait été le membre d'une fratrie de sept enfants, mais seuls lui et deux de ses frères survivront jusqu'à l'âge adulte.

Il n'existe que peu de documents relatant l'enfant de Ludwig, mais l'on sait que la mort de son grand père et homonyme, alors qu'il n'avait que 3 ans l'affecta profondément.

Son père prétendant que Ludwig n'apprendra rien d'utile à l'école, il ne s'y rendra que peu, ce qui générera chez lui, et cela jusqu'à sa mort, des lacunes  importante en arithmétique et en grammaire.
Mais pour Johann, le plus important est que son fils se consacre à la musique. Dès l'âge de trois ans, il passera la majorité de ses journées devant un pianoforte (le piano n'existant pas encore sous sa forme actuelle à l'époque). Son apprentissage commencera alors sous les coups impulsifs de son père pour lui faire payer la moindre erreur de doigté. Dans un élan de cupidité, il ira jusqu'à rajeunir de deux ans l'âge de son fils lors de ses concerts pour rappeler la précocité d'un certain Mozart. Ludwig finira par découvrir son vraie âge que des années plus tard.

Sa première présentation publique aurait-eu lieu le 26 mars 1778 à Cologne comme l'atteste des documents écrit par Johann pour faire la publicité de cet événement.

L'échec fut massif. Johann, blessé dans son orgueil mais un minimum lucide, confiera alors la suite de l'éducation musicale de son fils à Tobias Pfeiffer, musicien ambulant et compagnon de boisson de Johann. Cela durera jusqu'à 1780 et le départ de Tobias, la relève fut assuré pendant 2 ans par un organiste, Egidius van den Eeden, sa mort l'empêchant de continuer.

En 1781, Ludwig entamera, cette fois accompagné de sa mère, une tournée en Hollande, qui n'eut toujours pas le succès escompté. Ludwig dira dès lors des hollandais qu'ils sont des "grippes-sous" et refusera de retourner dans ce pays.

C'est en 1782 que l'éducation musicale de Ludwig prend une tournure décisive. Christian Gottlieb Neefe, nouvel organiste de la cour, accepte d'en faire son élève. La culture de Neefe sera un vraie tremplin pour Ludwig qui découvrira entre autres Shakespeare et Schiller auteur d'un certain poème, l'Ode à la joie qui sera repris par Ludwig bien des années plus tard pour le final de son ultime symphonie.

Cette même année, il rencontrera Franz-Gerhard Wegeler, qui se destine à devenir médecin, et qui sera l'ami le plus constant et le plus fidèle du compositeur, jusqu'à sa mort.
Grâce à Wegeler, Ludwig rencontre la famille Breuning, noble, bercée dans les arts et chez qui Beethoven sera vite considéré comme un fils d'adoption.

1783, alors agé de 13 ans, et poussé par Neefe qui estime qu'un cap doit être franchi, Ludwig joue sa première oeuvre personnelle, les 9 variations pour clavecin en ut mineur. La dextérité nécessaire pour jouer cette oeuvre laisse présager du génie de ce jeune enfant.

Sur sa lancée, dès le début de l'année 1784, Beethoven  se propose pour le poste d'organiste adjoint de la cour, mais celui lui est refusé par l'archiduc Maximilien Frédéric. Mais ce dernier meurt quelques semaines plus tard, et son remplaçant, Maximilien Franz, sera lui plus enclin à accepter la requête du jeune compositeur. Ludwig recoit alors son premier salaire fixe de 150 florins par an, tandis que son père, dont l'éthylisme nuit gravement à son travail se voit lui retirer 15 florins par an. Ludwig se retrouve alors premier garant financier de la famille Beethoven.

1784 se poursuit, et Beethoven compose son concerto n°0 pour piano. A cette époque, Beethoven est plus connu en tant que pianiste virtuose qu'en tant que compositeur d'avenir, ses trois premiers quatuors avec piano, Neefe décidera même de ne pas les publier, ils ne le seront qu'après la mort de Beethoven. Cette même année, Beethoven fera la connaissance du comte Ferdinand Waldstein, ami intime de Maximilien Franz. La rencontre se fait chez les Breuning. Il financera le très relaté voyage qui amènera à la seule rencontre entre Ludwig van Beethoven, âgé de 17 ans et Wolgang Amadeus Mozart, âgé de 28 ans. il y a tant de on-dit sur cette rencontre qu'il est quasiment impossible de démêler le vrai du faux, mais la majorité des historiens s'accordent pour dire que rien de particulier, aucun échange majeur ou mémorable n'eut lieu au décours de cette rencontre. Le retour à Bonn se fera dans la tristesse, sa mère meurt le 17 juillet d'une hémoptysie importante sur une tubeculose. Beethoven en gardere la manie de scruter systématiquement le moindre de ses crachats pour y déceler des traces de sang. Suite à cet événement, son père tombera encore plus dans l'alcoolisme et la vie à la maison en devient d'autant plus difficile. En 1789, Ludwig fait alors les démarches auprès de l'Electeur pour accélérer son émancipation, le salaire de son père lui est alors transféré, mais Ludwig cèdera peu de temps après aux pleurnicheries de son père et acceptera de revenir sur sa décision. Après avoir quelques peu délaissé la compisition, il s'y replongera dès 1790 et écrira sa première musique pour ballet, le Ritterballet, sur la commande du comte Waldstein qui s'en attribuera la paternité avant que bien plus tard les historiens ne corrigent ce forfait.


1790, l'empereur Joseph II, mélomane reconnu,  meurt. Beethoven écrit alors la Cantate sur la mort de Joseph II, sur commande de la cour, mais l'oeuvre s'avère trop difficile à jouer et il faudra attendre 1884 pour l'entendre pour la première fois. En cette époque charnière dans l'évolution de l'Europe, Beethoven se reconnait dans les idées révolutionnaires qui viennent de France, à cette même époque, il découvre la philosophie de Kant et n'y reste pas indifférent. La fin de l'année 1790 arrive, et Beethoven éprouve une tendresse plus qu'amicale envers la seconde fille des Breuning, Eleonore, qui appelera "Lorchen". Eleonore  qui ne partage elle que de l'amitié avec Beethoven, épousera, plus tard Wegeler. 

Ainsi commencent les terribles mésaventures amoureuses de Beethoven, véritable fil rouge de sa vie.

jeudi 15 octobre 2015

11 ans de médecine. Et ce n'était que l'incipit.

Et c'est tout ? C'est comme ça que ça se termine ? Après 11 ans ?

La fin de l'internat, la fin des études de médecine. Cela a commencé en Octobre 2004, tout jeune bachelier, avec la mention "cul bordé de nouilles" de mon bac à 10.02/20, débarquant sur les bancs de la fac, sans avoir la moindre idée d'où je mettais les pieds, pas la moindre. Pourquoi j'ai pris médecine au début ? Je n'aime pas cette question, parce que pour être franc je n'en sais rien. Ce n'était pas par vocation, ni par pression parentale. J'ai au contraire été élevé avec l'idée que ma famille serait fière de moi que je sois peintre en bâtiment, banquier, médecin, sculpteur sur brebis, du moment que je faisais un métier que j'aimais. J'ai beau y repenser, retourner ça dans tous les sens, je ne sais pas pourquoi j'ai choisi la médecine. L'aiguille de la roue du pifomètre indiquait un caducée, c'est tout ce que je peux dire.

La P1 est arrivée comme une claque, largué au milieu d'un millier d'autres étudiants, tous anonymes, tous en compétition, je n'avais personne derrière moi pour m'engueuler quand je ne révisais pas assez, quand je prenais les choses à la légère, quand je la jouais comme en terminale et comme toujours jusque là en me disant que mon minimum serait suffisant. La réalité m'a mis une claque, après un crochet du droit et un coup de pied dans les côtes. 800 et quelques sur un peu plus de mille, voilà ce que j'ai récolté comme classement avec mon "minimum suffisant".

Alors il a fallu recommencer, parce qu'après tout on a droit à deux chances, alors ne pas la tenter c'est comme ne gratter que la moitié d'un banco. Et là je me suis dit que j'aimais les cours, que c'était intéressant, d'apprendre, tous les jours, de me coucher tous les soirs avec plus de connaissances qu'en me levant le matin, que ce serait pas mal de voir ce que je vaux quand je travaille sérieusement. C'était une question de rythme, d'hygiène de vie. Le concours du 1er semestre est arrivé et une nouvelle claque, 226ème, et 153 places de médecine à la fin. Il allait falloir faire plus. D'autant que je m'en souvienne, je n'ai jamais douté. Ce qui ne me ressemble pas. Mais pour le coup, c'est comme si j'avais su que ça allait le faire. Et ça l'a fait. J'ai gagné 100 places tout rond. Je me revois devant le "*26" à coté de mon nom, et le chiffre de centaines caché par la feuille de gauche, le "1" qui est apparu quand je l'ai soulevé, puis l'euphorie. Je me souviens d'avoir appelé ma mère et de lui avoir dit très exactement : "Maman, ton fils sera médecin".

Le plus dur était derrière moi. Du moins c'est ce que je croyais, parce que tout ce que je savais à cette époque c'était que la P1 était dure et qu'après il y avait une voire deux années détentes pour s'en remettre, faire la fête, boire, s'amuser, mais la suite m'était inconnue.
La suite je l'ai vu arriver en parlant avec les années supérieures durant ma P2 et ma D1 dont je n'ai que peu de souvenirs.

Et l'externat a débuté. Les stages le matin, les gardes, les astreintes, et les bouquins d'ECN avec leurs saleté de mots clés. Je n'ai pas vu la marche. Je suis tombé. Encore une fois. J'ai redoublé ma D2 parce qu'il fallait de nouveau travailler et je ne l'avais tout simplement pas fait. Action, réaction.
La deuxième D2 est arrivée, la peur de tripler m'a poussé à travailler, mais comme à mon habitude, le minimum, qui cette fois s'est avéré suffisant. La D3 a été du même acabit, à travailler sans y mettre toute l'énergie qu'il aurait fallu, à appendre des listes sans les comprendre, à mettre du stabylo sur des mots que je croyais important sans les inclure dans un ensemble, sans apprendre à réfléchir devant un dossier.

Les stages me montraient doucement mais surement que je n'aimais pas l'hopital. Tous les gouts sont dans la nature. De mon coté, le chariot de dossier, l'ordinateur sur socle à roulette, la pseudo équipe hospitalière, tout me rebutait. Je reconnais peut être ne pas avoir donné le meilleur de moi pour y voir du positif. Mais ma vision était déjà là. Les stages s'enchainaient, tous intéressants mais sans coup de cœur, sans révélation, sans vocation. La chirurgie s'est vite avérée être ma nemesis. Mon taux de gaffe à la minute, de déstérilisation, frisait le pathologique. Aujourd'hui encore, de repenser à ce champ stérile, ce luminaire agressif, cette odeur de tissu cautérisé, cette anatomie à laquelle je ne comprenais rien, cette instabilité émotionnelle, cette violence gratuite, pas seulement envers moi, ces larmes en cachette dans les toilettes du service, tout cela crée encore chez moi un malaise profond.
En dehors des stages, et des gardes, qui empêchent complètement d'avoir un rythme de vie correct, il fallait continuer de travailler, de réviser. Au départ sur l'idée de faire le strict nécessaire, puis devant de premiers résultats catastrophiques, par peur de ne pas pouvoir rester sur Paris au moment des choix, et finalement un jour j'ai commencé à travailler pour moi, pas pour ma note à l'ECN, pas pour mon classement, juste pour moi, et mes futurs patients. Parce qu'un zéro à un dossier ça peut être une erreur médicale aux conséquences gravissimes dans la vraie vie. Parce qu'il fallait aussi que j'apprenne à être médecin. Parce que chaque jour en stage des gens me confiaient leur corps, leurs secrets, leurs angoisses, leurs espoirs, leur intimité, parfois sans le dire. Ils ne me connaissaient pas, ils ne le faisaient pas pour moi, ils le faisaient parce que je portais une blouse, et ils le faisaient pour eux parce qu'ils voulaient que je fasse partie du processus qui devait leur permettre d'aller mieux, ce processus qui passait par le chef de service, la femme de ménage, le praticien attaché, l'infirmière, l'aide-soignante, l'interne, le brancardier, moi et tellement d'autres personnes.

Alors il fallait que je travaille, pour être digne de cette confiance implicite qu'il y avait entre eux et moi.

L'ECN est arrivé, vite, tellement vite. 9 dossiers, un sujet de LCA, 3 jours, et voila plus de 8000 étudiants que l'on va classer selon leur note totale. Un classement qui définira leur spécialité, leur lieu d'internat, mais qui n'a aucune autre signification.

J'ai eu de la chance. En fait, je crois que j'en ai toujours eu quand il le fallait. Et mon classement fut inesperé. Pour avoir travaillé sérieusement une seule année sur les 4 de mon externat (2 ans en D2), je n'aurai jamais pu imaginer ce classement.

J'ai donc choisi la médecine générale à Paris. Pourquoi la médecine générale ? Parce que tout me plaisait mais je n'aimais rien assez profondément pour être prêt à le faire de manière exclusive, alors j'ai choisi la grande inconnue. Je n'étais jamais passé en stage ambulatoire, du cabinet médical je ne connaissais que le coté patient de la table du médecin. Je ne connaissais même pas les différents débouchés possibles de la médecine générale, autres que la pratique en cabinet de ville.
Pourquoi Paris ? Parce que j'y vivais, que je n'avais pas le permis (toujours pas à ce jour), et que je ne me voyais pas partir loin de ma famille et de ma compagne.

L'internat a débuté, 5 mois après rendu ma copie de LCA. 5 mois c'est suffisant pour tout oublier. Alors on repart à zéro. Nouvelle expérience, nouveau rôle dans la prise en charge du médecin. J'allais devenir celui qui me faisait faire des ECG, celui qui m'apprenait des moyens mnémotechniques, celui qui m'expliquait sans mots-clés des symptômes et des maladies pour rendre justement l'apprentissage de ces mots-clés beaucoup plus facile, celui qui me couvrait quand il fallait présenter un dossier au big boss à la visite alors que je ne comprenais rien à sa pathologie.

Pour ce qui est de l'internat, le résumé serait impossible. Tout ce qui concerne mes stages hospitaliers a déjà été raconté sur ce blog. Pour ce qui est de l'ambulatoire, c'est une autre histoire.
J'ai attendu mon 4ème semestre pour faire de la médecine générale en cabinet. C'était l'été 2014. 10 ans après avoir commencé la médecine. Aberrant. Un putain de pari. Et si ça ne me plaisait pas ? Et si ça se passait mal ? Et si mon maitre de stage ne me faisait pas aimer son métier ? Qu'est ce que j'allais faire ?

Heureusement le doute fut vite dissipé. Mon stage chez le praticien s'est divisé en 3 parties, observation, supervision directe, supervision indirecte. Au départ, assis du même coté du bureau que ma prat', j'assistais à la consultation, avec comme consigne de sa part d'intervenir en posant mes questions ou en répondant à celles du patient que je le souhaitais. J'ai appris à voir les patients autrement. Ils n'étaient plus des malades avec une blouse d’hôpital qui ne couvre pas les fesses, allongés une partie de la journée, à attendre que l'on vienne les voir, les examiner, leur expliquer le programme de la semaine (lundi anesthésiste, mardi échographie cardiaque, mercredi radiographie du thorax, jeudi coloscopie, vendredi sortie). Non, ils étaient certes des patients, mais ils sortaient du travail, ils y retournaient après, ils venaient avec leur(s) enfant(s) parce que personne d'autre ne pouvait s'en occuper, ils étaient garés en double file devant le cabinet, ils partaient en Asie pour 6 mois dans 3 jours, ils n'avaient pas pris leurs médicaments parce qu'ils n'avaient plus envie, ils ne pouvaient pas aller travailler avec une diarrhée pareille, ils devaient être en bonne santé dans 10 jours parce que c'était le mariage de leur fille, parfois même ils n'avaient rien, ils venaient juste pour parler, de tout, de rien.

Les consultations s’enchaînaient. En une journée on pouvait passer du suivi du patient parkinsonien avec des vomissements depuis 2 jours, à un suivi de grossesse, un examen des 9 mois chez un enfant, une patient en détresse psychologique sur épuisement professionnel, une aménorrhée secondaire depuis 3 mois chez une patiente de 25 ans, un patient en sevrage alcoolique avec une cirrhose stable, un couple homosexuel tous les deux suivi pour leur VIH et j'en passe. Alors oui, il y avait certes des rhumes, des renouvellements d'ordonnance, des constipations, mais ce n'était qu'un tout petit ratio des consultations et cela était toujours l'occasion d'aller plus loin dans la relation médecin-patient, d'aller au delà du seul symptome et d'apprendre à voir le patient dans son ensemble. De mon coté, des tiroirs s'ouvraient quand la consultation avançait, des tiroirs importants, mais pas suffisant, on me disait AVK, je pensais INR, on me disait BPCO, je pensais EFR, on me disait vacances en Asie, je pensais vaccins. Et je voyais ma prat' qui ouvrait d'autres tiroirs, qui parlait de contraception et d'IST à l'adolescent qui venait juste pour son certificat pour le football, qui parlait famille, activité et échange social au papi qui venait juste pour sa bronchite trimestrielle, qui parlait libido à cette patiente qui venait pour brûlure mictionnelle.

J'ai vu des patients, revu des patients, et j'ai commencé à comprendre. Elle les connaissait depuis plusieurs années, et maintenant elle savait qu'une consultation en cache parfois une autre, elle savait qu'une seule question peut ouvrir des portes et permettre d'agir à temps, que parfois, pas toujours, mais parfois, il fallait voir au delà du motif de consultation, parce que chaque patient a une vie, une histoire, un passé, des projets, des angoisses, qu'il n'est pas qu'une liste de symptômes, de résultats d'examens et de traitements comme l'étaient mes cas cliniques pour l'ECN. Et surtout j'ai appris un élément indispensable de notre métier, la réassurance, autrement que par des bilans, des imageries ou des ordonnances, juste en discutant avec le patient, en lui expliquant ses symptômes, notre démarche de réflexion.

J'ai vu ce qu'était la médecine générale, et bordel qu'est ce que j'ai aimé ça.

Attention, je ne dis pas que cette interaction n'est possible qu'en médecine générale, et qu'ils sont les seuls à avoir ce rapport avec les patients. D'une, tous les médecins généralistes ne partagent pas cette vision de la consultation, et ensuite, il y a des spécialistes en libéral et à l’hôpital qui arrivent à créer ce lien. Ce que je dis plus haut c'est que jusque là je n'avais jamais connu la médecine de ce point vue et de savoir que l'on pouvait pratiquer cette médecine, cela a été pour moi une de mes plus belles révélations.

Alors j'ai remis ça, une fois de plus, en SASPAS, pour mon dernier semestre. Pour apprendre encore. Parce que je n'en avais pas vu assez. Parce que je ne me sentais pas prêt à me lancer dans l'expérience de la médecine générale en cabinet sans y être retourné avec une supervision, encore une fois, une toute dernière fois.

J'ai eu ma salle de consultation, mon bureau, mon ordinateur, ma table de consultation, mon planning. Mais il y avait encore un filet en dessous, pour continuer à avancer mais avec sécurité.
J'ai commencé à appliquer ce que j'avais vu, puis les jours s’enchaînant, j'ai commencé à voir ce que je modelais à ma sauce, l'approche de la consultation à ma manière, sortir du mimétisme pour commencer à faire ma pratique de la médecine générale. J'ai découvert que je ne pouvais pas voir un patient en 15 minutes, la majorité du temps, je ne dis pas que cela est impossible, simplement que moi j'en suis incapable. J'ai découvert ce que cela faisait, quand seul, en tête à tête, on nous répond "oui" à la question "Avez-vous déjà été victime de violence physique ou sexuelle ?", j'ai découvert ce que cela faisait quand quelqu'un s'énervait devant nous sur une divergence d'opinion vis à vis d'une prise en charge, j'ai découvert ce que cela faisait de se retrouver seul devant un patient avec ses plaintes, sans qu'aucun tableau diagnostic ne se dessine, sans avoir la moindre idée de par où commencer, quoi chercher, j'ai découvert ce que cela faisait d'annoncer un cancer, de devoir d'abord rappeler le patient par téléphone pour lui prendre un rendez-vous rapide sans pouvoir lui en dire plus, de suivre un début de grossesse chez une femme qui essayait depuis 3 ans, son sourire quand elle est venue au cabinet juste pour me l'annoncer, de recevoir ce patient à première vue repoussant, mal odorant, sale, désagréable et de se dire que derrière mon dégoût, mon agacement, il y avait en fait une détresse. Et il y a eu tellement d'autres choses.

Et cela va continuer. Différemment, ailleurs, en tant que remplaçant, avec de nouveaux patients, de nouvelles histoires, de nouvelles peurs, de nouvelles questions, de nouvelles aventures.

Et c'est tout ? C'est comme ça que ça se termine ? Après 11 ans ?

Non, au contraire, c'est comme ça que ça commence. Devant l'inconnu, devant la richesse incalculable de l'humain, devant son imprévisibilité, devant sa complexité.

Je n'ai pas fini d'apprendre, je ne fais que commencer, je vais tomber, me relever, me tromper, une fois, deux fois, dix fois, et parfois j'aurai bon, j'aurai visé juste, parce que je suis humain, parce que mes patients le sont.

Et j'aime ça.