samedi 26 septembre 2015

Rifampicine

L'internat de médecine générale, 3 années d'histoires, joyeuses,  tristes,  belles, affreuses. C'est impressionnant toutes les émotions, positives et négatives que le contact quotidien avec l'Homme malade peut engendrer. Que ce soit physique ou psychique, l'humain est fragile devant la maladie. C'est ce qui fait que le rapport à l'humain est si particulier dans les métiers de la santé. En juste trois années d'internat, j'ai vécu des montagnes russes d'émotions, car qu'on le veuille ou non chaque patient a un impact sur nous, direct,  indirect,  instantané,  à retard,  que ce soit dans notre approche de la relation medecin-malade, notre perception du métier médical, nos démarches diagnostiques et de prise en charge. Rien n'est anodin, rien n'est insipide. Et je pense sincèrement que celui qui se renferme sur sa pratique et ses émotions, par peur, par sécurité, ou autre, perd l'un des plus cadeaux que peuvent offrir les métiers de la santé.

De toutes ces histoires qui me reviennent quand je repense à ces 3 années,  il y en a une qui me revient sans cesse, qui ne me quitte pas. Je n'ai pas la mémoire de noms et des visages mais son nom et son visage sont gravés dans ma tête.

C’était un samedi, ensoleillé, un des premiers. Un des premiers samedi calme du semestre, alors que les épidémies de bronchiolites et de gastro’ n’étaient plus que des souvenirs avec quelques réminiscences éparpillées, et que les motifs de consultation devenaient bien plus variés.
Même si la fréquentation des urgences était vraiment moindre depuis quelques jours, la fatigue accumulée du semestre d’hiver aux urgences pédiatriques avait laissé des marques. Le nombre de passage quotidien, le peu de jour de repos, le fait de devoir accumuler ses jours de repos pour avoir des « vacances » qui rend le bénéfice des dites vacances bien conceptuel, l’angoisse des parents de voir leur enfant malade qui amène à l’agacement, à la colère, à la violence physique et verbale. Parce que se faire traiter de « fainéant » par un père à 4h du matin, alors qu’on n’a pris 20 minutes de pause pour manger depuis 8h du matin, sous prétexte qu’il a attendu 3h avant qu’un médecin ne voit son fils de 5 ans avec une rhino-pharyngite, ça ne pousse pas à la philanthropie. Je conçois l’attente, l’angoisse de la maladie, la peur pour son enfant, l’imagination du pire parce que la télé, parce que internet, parce que les discussions entre amis sur des histoires tragiques. Mais tout en comprenant la genèse de cette agressivité, je ne l’excuse pas. Alors oui, toi, le père qui a attendu 3h, pour être venu à 1h du matin parce que ton fils a pleuré parce qu’il ne pouvait plus respirer par le nez, toi qui ne lui a même pas pris de température à la maison, qui vient aux urgences sans même lui avoir donné du doliprane, sans même avoir essayé de le moucher, sache que plus tu attends, plus il y a de chance que tu repartes avec du paracétamol et un lavage de nez sur l’ordonnance. Et oui, tu auras ruiné ta nuit toi qui « travaille [moi] demain, monsieur ! » sache que tu es selon moi irrécupérable et que ton agressivité ne va pas faire que ton enfant sera vu plus vite et ne me donnera surement pas envie de le prendre en charge avec toute l’attention et l’application qu’il le faudrait. Tu ne rends service à personne, ni à toi, ni à ton enfant, ni aux autres patients, ni aux urgences.

Certes, le rush de l’hiver était passé mais fort heureusement pour ne pas perdre mes repères l’un des deux chefs qui était posté ce jour était, et est toujours, un branquignole de la médecine. Qui n’a jamais connu ce médecin qui ne voit quasiment pas de patient, qui se logue en secret sur des dossiers pour que son nom apparaisse au cas où quelqu’un chercherait à quantifier son activité, ce médecin qui fait que tu préfères finir une heure plus tard et clôturer tes dossiers plutôt que de les lui transmettre, par respect pour le patient, ce même médecin qui te fait des transmissions ingérables pour partir à la seconde près de l’horaire définie comme fin de son service. Merci la ponction lombaire sur un nourrisson d’un mois alors que la maman ne sait pas qui je suis, merci pour la « constipation, je lui prescris un lavement et tu pourras la faire sortir » qui en fait est un purpura rhumatoïde, certes dur à voir puisqu’il aurait fallu examiner l’enfant pour remarquer cette inratable éruption cutanée sur toutes les longueurs de ses jambes, et pire il aurait fallu interroger la mère pour apprendre l’existence de douleurs articulaires associées. Maintenant vous voyez de quel médecin je parle ? Parce qu’on en a tous connu un, minimum.

Il y avait donc lui que nous appelerons Dr Snake en hommùage à sa capacité de dissimulation au travail, et un autre médecin, plutôt discret et efficace, peu bavard mais très compétent que nous appelerons Dr Calme.
C’est ce samedi là, qu’Andrea (il ne s’agit bien sur pas de son vrai prénom). a été amenée par ses parents aux urgences. Agée de 15 mois, sans antécédents, elle avait présenté au réveil une importante diarrhée et un pic de fièvre à 40° sans frisson, ses parents lui avaient alors donné du paracétamol, vers midi, la fièvre ne baissant toujours pas, ils avaient donnés une deuxième dose, et deux heures après, ne voyant toujours pas d’amélioration décidaient de l’emmener aux urgences pédiatriques. Une prise en charge logique et intelligente.

Andrea arrive aux urgences vers 14h, elle est enregistré à 14h03 à l’accueil et vu par l’IAO à 14h15. Sa température est effectivement de 40.2°, et elle est inscrite pour « diarrhée fébrile depuis ce jour ». Ce samedi était vraiment calme car je l’appelle en salle d’attente à 14h30.
A ce moment de la journée, j’avais encore deux autres patients en cours de prise en charge, une jeune patiente de 8 ans adressée par son médecin traitant pour suspicion de diabète devant une perte de poids importante récente et une polyurie, et un patient 12 ans, autiste, amené par sa mère car devenu violent dans la matinée envers son frère et sa sœur. Je me souviens de ce patient, il n’y avait qu’un seul moyen de le calmer, c’était de lui mettre un clip du Colonel Reyel, ma prise en charge avait dont été de demander à la maman de mettre une playlist de Colonel Reyel sur son téléphone en attendant qu’on sache quoi faire pour soulager les impulsions violentes de son fils. J’attendais aussi avec crainte les résultats du bilan de la patiente de 8 ans.

Je me revois accompagner Andrea et ses parents dans le box de consultation, elle ne faisait pas un bruit, ne pleurait pas, ne criait pas, elle était amorphe. Une fois dans le box, j’entamais la consultation, antécédents, histoire de la maladie. Les parents avaient oubliés de prendre le carnet de santé, ce qui est finalement assez fréquent aux urgences pédiatriques. J’examine alors Andrea, devant ses parents, calme eux aussi, souriants. Elle était tachycarde mais sa tension était bonne, elle était pâle, presque jaune. Elle ne se plaignait d’aucune douleur. Sa gorge était propre, ses tympans étaient normaux, je n’avais pas de ganglion, son ventre était souple, non douloureux, elle ne répondait pas à mes questions, surement trop fatiguée par la fièvre, mais elle faisait bien ce que je lui demandais, elle se redressait pour l’auscultation pulmonaire, elle relacha bien sa tête pour que j’atteste que sa nuque était souple, et elle arrive même à détendre ses jambes pour que je puisse prendre ses reflexes.
Je partais sur une simple gastro’, certes un peu coltinée, mais du doliprane, du repos, une alimentation adaptée et tout ira bien.

Il y a eu un détail, un seul détail qui a attiré mon attention. Deux petits points rouges dans le creux de son coude gauche, deux petits points rouges de 3mm ne s’effaçant pas à la vitropression. Non je devais me tromper, je m’enflamme toujours pour rien, et en plus de 5 mois aux urgences j’ai eu le chance de ne jamais avoir de cas graves, alors je ne marche pas.
Mais quand même, cela m’embête. Je décide d’appeler Dr Snake pour lui demander son avis car Dr Calme était en pause déjeuner. Mais le téléphone de Dr Snake ne répondait pas, pour être exact il ne sonnait pas du tout. J’allais donc le chercher de box en box, mais je ne le trouvais nulle part. Finalement je tombais sur une co-interne qui passait dans le couloir. Je lui demandais son avis. Elle fut tout aussi dubitative que moi, que 2 points rouges, pas de raideur de nuque, non on ne va pas s’enflammer comme ça, sinon on ne s’en sortait plus aux urgences. Mais elle n’arrive pas à trancher complètement, le calme, l’apathie d’Andrea était quand même marqué et son teint qui virait aux jaunes ne pouvait pas être seulement dû à la nausée. Fort heureusement en sortant du box pour en discuter nous croisons Dr Calme qui revenait de sa pause déjeuner.
Longuement circonspect devant ses points rouges il décide finalement que nous allons la déplacer en salle de déchocage et demander l’avis du réa, quitte à en faire trop, mais ne prenons aucun risque.
Le réa arrive en moins de 5 minutes au déchocage, même interrogatoire, mêmes réponses, nouvelle prise de la tension en salle de déchocage, moins bonne qu’à l’arrivée et dans mon box. Il regarde longuement les points rouges. Dans le doute je les avais entourés dès le départ, ils n’avaient pas bougés, et aucune autre apparition. Il explique calmement aux parents que dans le doute il préfère la garder en réa pour la surveiller et la réhydrater. Une fois l’idée en tête, le choix n’est plus permis, nous injectons une dose de ceftriaxone en IV, il est 15h15. Cinq minutes après Andrea part en réa avec ses parents, et la vie reprend son cours aux urgences.
Je suis quand même inquiet, je n’y crois pas trop mais je me dis « au pire si c’est ça, elle a reçu les antibiotiques, elle est en réa, tout ira bien ».
D’autres patients arrivent, mon patient autiste devient de plus en plus agressif, il faut lui administrer de l’atarax pour réussir à le calmer, ma patiente de 8 ans est belle et bien diabétique et je dois aller l’annoncer à elle et à sa mère, cette journée ne me plait définitivement pas.
Les chefs de garde arrivent pour la relève, ils ont vent de l’histoire d’Andrea et l’un deux, notant mon angoisse à l’évocation de cette histoire tente de me rassurer « Elle était surement très déshydratée sur sa gastro, ne t’inquiète pas ».

Avant de partir des urgences, je décide de passer en réa prendre de ses nouvelles. J’arrive dans le long couloir de la réa et demande à une infirmière « Vous savez où est la chambre d’Andrea, qui est arrivée des urgences cet après midi ? », elle me répond « C’est celle au fond, mais vous ne pouvez pas y aller, tous les médecins sont dedans ». Je lui demande alors pourquoi, et elle m’apprend qu’à son arrivée en réa Andrea a fulminée en moins de 5 minutes, de la tête au pied et qu’ils sont en train d’essayer de l’intuber.
Je suis abasourdi, je n’y crois pas, ça ne peut pas être possible. Je regarde cette chambre, les volets sont tirés mais l’agitation qui s’y passe se devine aisément. Acceptant mon impuissance à ce moment précis, je décide de partir. En chemin je croise une des chefs des urgences, de garde au SAMU ce jour là, qui me demande mon numéro de téléphone, prend le mien et me dit de ne pas hésiter à l’appeler et qu’elle me tiendra au courant de l’évolution de l’état de santé d’Andrea.

Je rentre, presque de manière automatique, sans vraiment réaliser le trajet.

Vers minuit, n’arrivant pas à trouver le sommeil, j’appelle la chef des urgences, elle m’apprend qu’Andrea venait de se faire poser un KT central et qu’elle était hémodialysée depuis une heure. Elle me dit que je ne peux rien faire de plus et me suggère d’essayer de trouver le sommeil en attendant demain.
Cette nuit fut longue. Mais le matin s’imposa, et je repartais pour une nouvelle journée aux urgences. J’attendais devant la salle du staff des urgences que les médecins de garde arrivent pour faire les transmissions. Cette salle était juste  à coté de l’entrée de la réa.
Un infirmier de réa en sortit, l’air dépité, se s’adossa contre le mur. Je lui demandais « Vous auriez des nouvelles d’Andrea ? »
« Elle vient de mourir, il y a 5 minutes, on était avec elle toute la nuit ».
Sa réponse fut terrible, elle fut comme un coup de poignard, au fond de moi je savais que cela pouvait arriver mais j’étais dans le déni le plus total. Je suis ressorti dehors de manière machinale, et j’ai pleuré, pendant 10 interminables minutes. Ne trouvant ni explication, ni logique, je ne comprenais pas, ça ne pouvait pas être arrivé. C’était impossible. Elle avait eu les antibiotiques, elle était en réa. Mais PUTAIN ELLE AVAIT 15 MOIS, ON NE MEURT PAS A CAUSE D’UNE INFECTION BACTERIENNE A 15 MOIS !
Je n’ai pas pu travailler correctement ce jour là. Un chef me fit une ordonnance de rifampicine. J’ai pris cette rifampicine pendant 2 semaines, beaucoup plus que ce qu’il aurait fallu pour mon antibioprophylaxie, mais je ne pouvais m’en empêcher, c’était presque une prise médicamenteuse expiatoire.

Quelques jours plus tard, voyant que je n’arrivais pas à passer à autre chose, un de mes chefs contacta le chef de réa qui était de garde la nuit où Andrea est morte. Il fallait que je le vois, je voulais savoir exactement tout ce qui s’était passé cette nuit. Il m’expliqua tout, quand elle fulmina, l’intubation, sa kaliémie qui était monté à 10, ses 8 arrêts cardiaques. 8 arrêts cardiaques ! Avec les parents qui étaient présents, et qui après le 7ème arrets cardiaques avaient demandé l’arrêt des soins avec cette phrase que je n’oublierai jamais « la bactérie a emporté notre fille ».
Je n’ai jamais revu ses parents, la dernière fois que je les ai vu c’est quand Andrea est partie en réa. Je regrette de ne pas avoir pu m’excuser auprès d’eux, m’excuser de ne pas pu faire plus pour leur fille, m’excuser de ne pas avoir injecté moi-même la ceftriaxone sans réfléchir dès la vision des 2 points rouges.

Cette histoire ne m’a pas encore quitté. Il y a eu des réunions, on en a discuté entre nous, toute l’équipe soignante, la conclusion était la même, on n’aurait pas pu faire mieux. Mais ça je ne le saurai jamais, j’ai retourné cette journée mille fois dans ma tête et je ferai tout pour la revivre et tout faire plus vite, en mieux. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas revenir en arrière et enlever cette douleur incommensurable qu’on ressenti ses parents, la peur qu’à du avoir Andrea en comprenant que ça n’allait pas. Je ne peux rien faire. Tout ce qu’il me reste c’est ce sentiment que tout ça est injuste. C’est injuste.


Perseverare diabolicum

perseverare diabolicum. Voilà la locution dans son intégralité. « Errare humanum est, perseverare diabolicum » et on n’a tendance à facilement oublier cette partie. Etonnant non ?

Il y a un autre point de ce stage dont je n’ai pas parlé jusqu’à présent, les gardes. Ici les gardes se faisaient aux urgences. Et me voila revenu pour quelques gardes (une vingtaine sur le semestre) dans le stage de mes débuts. Dans l’ensemble elles se sont plutôt bien passées. C’était comme revoir une vieille connaissance, tu te souviens que tu ne pouvais pas la supporter de la voir tous les jours, mais de manière sporadique, une, deux, maximum trois fois par mois ça passe, ça te change un peu. Mais il y en a une que je n’oublierai pas. Je ne devais pas la faire initialement, mais je l’ai reprise à une de mes co-internes, contre un doublement de sa part de la paie de la garde, sans doute avait-elle senti venir le coup. De mon coté, je voyais juste que cela allait me permettre d’aller m’acheter une console de jeu en sortie de garde (chacun sa motivation). Après une journée de stage assez calme je partais donc gaiement en garde, la fleur au fusil, pensant à mes futures heures de jeux avec ma nouvelle console. Si j’avais vu le planning des urgences je serai surement arrivé moins souriant. Pour préserver leur anonymat j’appellerai les deux chefs qui étaient de gardes ce jour là, Magicarpe et Chenipan. Pour ceux qui connaissent un peu les jeux pokemon vous aurez compris la métaphore. Pour les autres, sachez que j’ai décidé de les appeler ainsi parce que je considère que dans leur forme actuelle, Magicarpe et Chenipan ne servent pas à grand-chose, mais que peut-être, avec assez de patience et quelques évolutions on peut arriver à quelque chose d’exploitable.

Je me retrouve donc en binome avec Magicarpe, tandis que l’externe de garde se retrouve avec Chenipan, et que l’autre interne de garde (celui qui est posté aux urgences en temps normal) se retrouve au tri, à la place qui était la mienne un an auparavant.

Magicarpe et Chenipan étaient connus comme le(s) loup(s) blanc(s). Leur difficulté chronique à se lever de leur chaise pour voir un patient était devenue légendaire. Certains disaient les avoir vu un jour dans une autre position qu’assise, mais peu de gens les croyaient.

Fidèles à leur réputation, ils nous laissèrent, à l’externe et moi le soin de voir leur patient, pendant qu’ils attendaient sagement, patiemment, les sorties de bilans (pas encore prescrit) sur l’ordinateur.

Un bon flux remplissait les urgences, doucement, imperceptiblement, mais certainement. Passé 22h, l’accélération se fut plus importante. J’étais déjà crevé comme s’il était 2h du matin, mauvais signe. Je décide de faire une petite pause clope, et à me retour je réalise ce que je n’avais pas vu dans le feu de l’action, les urgences étaient pleines. Pleines de patients vus en attente de savoir si on les laissait repartir ou si on les hospitalisait et pleines de patients non vus. Une infirmière me fait alors judicieusement remarquer que bientôt nous allions être à court de brancard. FAN-TA-STIQUE !
Magicarpe et Chenipan, toujours en pleine débauche d’énergie pour donner l’impression de travailler ne semblaient pas s’en émouvoir, et ne cherchaient pas à accélérer la cadence. Magicarpe en profita même pour me remettre une petite ampoule, une seringue et une aiguille en me demandant d’aller faire une injection à un patient avec un priapisme dans les étages. Sans doute abasourdi par une telle demande, je pars en direction du service sans même avoir demandé plus de renseignement, ne serait-ce qu’un truc aussi bête que « PUTAIN MAIS J’INJECTE COMBIEN DE QUOI, ET OÚ ? ». Le patient était atteint de drépanocytose (une maladie génétique, congénitale, qui transforme les globules rouges en faucilles ce qui complique leur passage dans les petits vaisseaux en raison d’une malléabilité diminuée), et présentait effectivement un priapisme (une érection, très douloureuse, qui ne dégonfle pas). Ce qui lui faisait donc la faucille et le marteau (pardon).
Pas une seconde à perdre, mon empathie sur le moment me pousse à accélérer ma prise en charge, mais je ne sais toujours pas ce que je dois faire. Plus qu’une solution… internet. Je cherche donc sur mon téléphone et je trouve une explication sur la méthode d’injection. Presque 8 ans d’études à ce moment…honte à moi. Finalement la méthode était la bonne, et le patient a assez vite retrouvé un pénis au repos, non douloureux. Il me fallait maintenant redescendre aux urgences. Woohoo ! Je me souviens encore du coup de pression quand, une fois arrivé, j’ai ouvert la porte des urgences, entre le couloir plein, les infirmières au bord de la rupture psychologique et  le bruit des scopes. Sur un coup de tête, j’ai décidé d’appeler le chef de service sur son portable (oui j’avais, par un miracle bienvenu, son numéro de téléphone). Je lui résume la situation, et il me répond qu’il arrive. Parfait. Maintenant allons prévenir les deux pokémons. J’aurai mieux fait de me taire. Après leur avoir raconté mon coup de fil, Chenipan a commencé à avoir mal au ventre et est allé vomir aux toilettes, et Magicarpe m’a expliqué que c’était déplacé et que j’aurai du leur en parler avant.
Trente minutes plus tard ; le chef de service est arrivé, dans sa blouse blanche, tel le sauver des urgences. Il remarqua en premier le visage diaphane, quoi qu’un fond vert était décelable, de Chenipan, et… lui dit de rentrer chez elle avec un grand sourire parce qu’elle était malade et que c’est surement pour ça que ça n’avançait pas.  SERIOUSLY ? SERIOUS-FUCKING-LY ! Si j’avais eu le courage, je me serai volontiers frapper la tête contre la porte du bureau médical jusqu’à y laisser l’empreinte de mon visage, mon propre Saint Suaire, sur une porte coupe-feu. Chenipan est donc rentré dans sa maison, dormir, au chaud. Magicarpe s’est mise à accélérer son rythme (oui car passer de 0 à 1 c’est quand même une accélération) et le chef de service m’a gentiment expliquer qu’avec Magicarpe ils allaient faire sortir un maximum de patient et qu’avec l’externe nous allions donc nous occuper des patients qui n’avaient qui pas encore été vus. La pile de patient, sur leurs brancards, rangés en ligne bien droite, sauf que contrairement à Tetris la ligne ne disparait pas. Au contraire, avec le phénomène de foule, l’agacement de l’un a motivé l’autre à s’énerver à son tour et ainsi de suite. Que du bonheur. La garde s’est ainsi continuée sans interruption jusqu’au staff à 8h30 du matin. J’ai du dormi pendant tout le staff, présentant mes patients en mi-éveil mi-sommeil, juste sur activation automatique de mon cerveau primitif.

Après cette garde, j’ai toujours considéré ma console comme un des objets que j’ai le plus mérité.


Récemment, j’ai appris par un ami qui s’est retrouvé à son tour en stage aux urgences, que le même duo avait été reformé pour plusieurs gardes, avec toujours aussi peu d’efficacité, même si depuis, le niveau de bordel de ma garde n’a jamais été égalé. Par quoi j’avais débuté déjà ? Ah oui : … perseverare diabolicum.

Errare humanum est

Errare humanum est… et des erreurs j’en ai faite. Tout le monde en fait. Celui qui le nie est soit un menteur, soit… non c’est juste un menteur. Il y en a des plus ou moins graves, selon les conséquences. Il y a les erreurs conscientes, et les erreurs d’inattention. Si vous ajoutez à cela la théorie du chaos qui dit qu’un simple battement d’aile de papillon peut provoquer une tornade, imaginez ce que peut faire un interne de troisième semestre étourdi.

Mr N, est arrivé, silencieusement, simplement, dans le service. Sa femme, Mme N, qui jusque là s’occupait de son mari et de sa perte d’autonomie, au domicile, s’est mise à avoir le cerveau qui ne fonctionnait plus comme prévu. Ses troubles bipolaires, alors discrets jusque là, se sont réveillés et la voilà hospitalisée en pleine crise maniaque à vouloir refaire le monde, prête à donner toutes ses économies pour ouvrir une boulangerie dans le fin fond de la Cordillères des Andes. Beau projet. Mais je peux comprendre que sa famille et son mari aient décidés de l’emmener aux urgences. Résultats, les deux amoureux se retrouvent dans le service de Gériatrie. Mais les chambres ne sont pas mixtes et il a fallu improviser avec les chambres de libres au moment de leur arriver, alors ils ne sont ni dans la même chambre, ni dans la même aile du service et ce n’est pas le même interne qui s’occupe d’eux.

Pendant que ma collègue gère la multiplication des projets pharaoniques que l’esprit de Mme N génère pour sauver la planète à moindre frais, je me retrouve avec Mr N, qui a comme antécédent une arthrose avancée des deux genoux et des deux hanches qui limitent considérablement ses déplacements. Son seul traitement : paracétamol. Parce que Mr N ne se plaint pas. Il dit qu’il a mal, mais « ça va aller docteur ». Son seul souci c’est qu’il est inquiet pour sa femme. C’est beau. Ils sont mariés depuis plus de 50 ans et l’amour qu’il a quand il parle d’elle va à l’encontre de tout ce qu’on peut lire sur les relations de nos jours. Il l’aime tellement que je suis à deux doigts d’appeler Daniel Lavoie pour qu’il en fasse une chanson. Au moins, ma visite se passe bien, vu que la prise en charge de Mr N consiste à s’assurer que sa douleur ne lui pose pas trop de problème et que malgré sa mobilité réduite une certaine activité est maintenue pour lui éviter des escarres. Je lui répéttequ’il ne faut pas hésiter dire s’il a mal, qu’il existe des médicaments plus fort que le paracétamol. Et qu’au pire s’ils ne les tolèrent pas, il y en a encore d’autres.

Puis, un vendredi, avant un week-end où j’étais d’astreinte, le chef vient me voir dans le bureau des internes.

-          «  Je viens de recevoir un coup de fil de l’unité d’hygiène, tu pourrais me ressortir le dossier de Mr N s’il te plait »

En bon interne, je m’exécute. Il faut dire que le chef n’est pas quelqu’un à qui on dit non. Il n’est pas tyrannique, loin de là, c’est même l’un des chefs les plus humains avec le personnel, dont nous les internes, et les patients. Il veut que le travail soit fait, bien fait, mais il sait aussi que l’hôpital n’est pas notre vie, que nous sommes en plein apprentissage et cela se ressent dans sa manière de nous superviser. C’est motivant. On se dit que si on devait être chef un jour, il faudrait se souvenir de son exemple pour l’appliquer, parce qu’au final il donne bien plus envie de s’investir qu’un chef désagréable qui pense que le respect est une question de hiérarchie.

Bref, je me retrouve à sortir le dossier de Mr N et à lui tendre. Il feuillette, tourne quelques pages, sort une pochette bleue, une rose, une verte et s’exclame :

-          « ah oui, tiens. Ton patient, Mr N, il est porteur d’une BMR »
-           
Puis il me tend le compte rendu d’une hospitalisation de Mr N dans un autre hopital, il y a de cela 2 mois, pour chute sans complication, avec nota bene, à la toute fin, en gras « Patient porteur d’une BLSE (un type de BMR) ».

Les BMR, ou bactérie multi-résistante, c’est un peu comme les méchants dans les Sentaï, type Bioman. On gagne des combats contre eux, et à un moment ils en ont marre et ils décident d’utiliser des pouvoirs cosmiques pour prendre la taille de Godzilla et on est obligé de faire intervenir le robot géant en kit pour le combattre, qui en l’occurrence est ici un bon gros antibiotique que l’on n’aime pas trop sortir des placards parce qu’il coute l’équivalent du PIB d’un pays africain et surtout parce que comme après un combat entre un gros monstre et un robot géant, même les fois où les gentils gagnent, le combat a quand même détruit la moitié de la ville.

Par conséquent, Mr N aurait du être mis en chambre seul et de nombreuses précautions auraient du être prise du coup. Ce qui ne fut pas le cas. Ici, fort heureusement, la bactérie est latente dans le tube digestif du patient. Elle ne provoque pas de symptomes ni de maladie et ne nécessite donc pas qu’on la traite. Mais comme toute bactérie, elle n’en reste pas moins transmissible, d’où l’importance des précautions pour éviter tout contamination des autres patients, sinon cette bactérie arrivera jusqu’à un patient chez qui elle sera symptomatique, et là ça va poser un réel problème.

Devant mon inattention, Mr N avait passé plusieurs jours en chambre double, avec du personnel soignant qui passait de sa chambre à une autre en étant autant de transporteur possible de la bactérie. Pour limiter la casse, il fallait désormais tester chaque patient du service pour savoir qui était porteur de la bactérie, et d’ici à ce que les résultats sortent, pas d’entrée, pas de sortie.

Et c’est ainsi que le service se retrouva en quarantaine. Ce n’est pas exactement comme dans les films et les séries. Il n’y a pas de grille qui tombe au sol pour enfermer tout le monde, ni de barrage policier pour s’assurer que personne ne rentre ni ne sorte. Personne ne vient nous voir avec des combinaisons couleur canarie et des masques qui vous font parler commeDark Vador.

Une quarantaine dans le monde réel c’est beaucoup moins sexy, moins classe.

Ça se résume à moi, faisant un prélèvement rectal sur 36 patients, à la suite un vendredi soir, pour avoir oublié de lire correctement cette page du dossier, qui était sous mon nez depuis le début avec écrit « porteur d’une BMR ». Par la suite il n’y a donc eu ni entrée, ni sortie d’hospitalisation pour les patients  jusqu’à la sortie des résultats. Autant vous dire que j’ai passé un week end d’astreinte assez tranquille.

lundi 14 septembre 2015

L'être et l'aidant. (Gériatrie)

La maladie d’Alzheimer, tout le monde en parle. On fait des programmes de sensibilisation auprès de la population, on nous parle de la recherche sur le sujet, les politiques s’en mêlent (les pinceaux… j’ai dû manger du Jean Roucas au petit déjeuner), on vient témoigner au 20H, c’est le mal du siècle, c’est incurable, inévitable, imprévisible. Woohoo, vas-y fait péter le champagne, je sens que j’ai la sérotonine qui atteint son paroxysme.

Mr A et Mme L ne se connaissent pas, ils ne se sont jamais croisés auparavant, quoi que, peut-être que si, comment le saurai-je, je ne connais pas leur vie et ils ont oublié la leur, alors comme ça on est bien avancé.

Mr A est amené aux urgences par ses enfants. Sa femme, qui s’occupe de lui, au quotidien, du haut de ses 1m30 (lui fait 50cm de plus),  avec des aides à la maison, et les enfants qui passent deux à trois fois par semaine, entre leurs boulots, leurs enfants, et leur problème personnel quotidien. Bref, tout le monde a l’air au bord de l’épuisement, tout le monde sauf Mr A. Mr A à l’air d’aller bien, il se tient droit sur ses deux jambes, il n’a aucun problème d’équilibre, ne semble ni fatigué, ni douloureux, il ne réclame aucun médicament, il pourrait te faire le marathon de Paris en moins de 2 heures Monsieur A. Seulement voilà, Mr A, il a la maladie d’Alzheimer. Du moins c’est ce qui lui a été diagnostiqué il y a 5 ans de cela, devant un faisceau d’argument clinico-biologico-radiologiques. Parce que oui, la maladie d’Alzheimer ça ne se diagnostique pas en dosant les anticorps anti-mémoire, c’est bien plus complexe. Mr A, il ne sait plus qu’il s’appelle Mr A, il ne reconnait pas Mme A, et pour lui les enfants de Mr et Mme A sont sympa de venir les voir plusieurs fois dans la semaine mais il ne comprend pas vraiment pourquoi. De la à dire que Doris dans le Monde de Nemo à la maladie d’Alzheimer, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas. Car comme je le disais c’est bien plus compliqué que ça.  Mr A il n’a pas que la mémoire qui est hors-service. Et hors service c’est peu de le dire, il n’a pas juste oublié pourquoi il était partie dans la cuisine ou l’endroit où il a posé ses clés de voiture ; non sa mémoire ne marche plus que ce soit pour se souvenir de son prénom ou retenir le mot que je lui ai dit il y a 5 secondes. Mais il y a aussi d’autres symptômes. Il ne comprend plus comment on enfile des chaussures, comment on boutonne une chemise, il lui arrive parfois d’oublier d’ailleurs qu’une chemise est un vêtement, 90% de son vocabulaire a disparu de son esprit, effacé, ctrl A + suppr. Mr A n’a plus de système de pensée cohérent, tout est abstrait. Mr A n’a plus de notion de bien et de mal, de socialement acceptable et répréhensible, de joie ou de peine, de faire plaisir ou de faire du mal. Il n’a ni remord, ni regret. Autant pour un T-800 envoyé dans le passé pour éliminer Sarah Connor, ça peut être utile. Mais pour un humain de 80 ans avec une femme, une famille, c’est un peu difficile. Dernier point sur Mr A, et qui confirme aussi sa maladie d’Alzheimer, il ne sait pas qu’il est malade. Il est atteint de ce phénomène cérébral aussi incroyable que terrible que l’on appelle l’anosognosie ; il n’a aucune conscience de ce qui lui arrive. Après pour l’inconscient, je ne saurai vous dire, de toute façon je n’ai jamais pu lire le Petit Hans en entier.

Au début Mr A avait quelques problèmes de mémoire, et le début des autres symptômes a commencé à apparaitre. C’était fluctuant, insidieux, on ne le voit pas, ou on ne veut pas le voir, on se dit que bon « c’est l’âge ». Mais voilà, un jour il n’y a plus de fluctuation, il n’y a plus « quelques problèmes », il y a un handicap majeure, une perte d’autonomie totale, une mise en danger pour le patient et son entourage, cet entourage trop souvent oublié, qui s’épuise au fil des jours, comme une flamme vacillante mais qui ne s’éteint pas, et quand il demande un peu de répit pour pouvoir se poser un peu c’est parfois sous des regards accusateurs et la critique. Alors un jour, ils craquent, ou alors il y a le problème de trop et ils arrivent aux urgences, et ce n’est pas le patient mais eux qui crient « Au secours » sans vraiment le dire. En l’occurrence pour Mr A, c’était sa femme qui avait craqué. Car Mr A avait aussi un autre problème lié à sa maladie, une activité sexuelle débordante qui poussait Mme A jusqu’à l’épuisement.

Alors me voilà, en pleine visite, comme tous les matins, à faire le tour de mes patients, de leurs bilans, de leurs examens, de leurs maladies, à espérer ne rien oublier, et derrière moi il y a Mr A, qui a mis son haut de pyjama dans l’évier en oubliant d’arrêter l’eau, et qui porte sur la tête son pantalon avec les deux jambes qui pendent comme les oreilles de Pluto et qui se plaint qu’ « on ne voit rien du tout avec cette saloperie », son pénis à l’air, en plein milieu du couloir et que je vais raccompagner dans sa chambre pour la 6ème fois de la journée (et je ne suis arrivé en stage que deux heures auparavant), tandis que la cadre du service de l’étage d’en dessous est en train de monter les escaliers quatre à quatre pour se plaindre d’une fuite d’eau dans le plafond.

Et Mme L dans tout ça me direz-vous. Et bien comme d’habitude, elle déambule dans le service à l’autre bout du couloir en attrapant tout le monde par le bras en répétant sans interruption « la, la, la, la », et j’ai renoncé à aller la chercher parce que de toute façon elle va repartir aussitôt.

C’est épuisant, il n’est que 11h. En plus de cela Mr A et Mme L avaient un autre point commun. Leur famille n’était pas venue les voir depuis le début de leur hospitalisation. C’est mal ! C’est de l’abandon ! C’est un opprobre sans excuse possible!


Vous penserez ce que vous voulez, car au début moi aussi c’était mon avis. Mais à ce moment très précis, je comprenais les familles.

La gériatrie, ce passage indispensable. (Gériatrie)

Après une première année assez difficile, à deux doigts de me pousser à changer de métier (j’avoue avoir songé devenir troubadour sur les routes d’Asie), il était temps que mon internat devienne autre chose qu’une succession de journées pénibles, et que peut-être, soyons fou, je me mette à me dire que « médecin ce n’est pas si mal ». J’ai donc décidé de prendre le taureau par les cornes (après lui avoir donné un sédatif puissant, on n’est jamais trop prudent). Pour mon prochain stage, je vais en choisir un qui est conseillé par tous ceux qui y sont passés, où dans les commentaires de stage on peut lire « A la fin du stage vous ne voudrez pas partir ». Tant pis s’il faut que je traverse la moitié de l’Ile de France. Mais la chance était avec moi sur ce coup, et je l’ai trouvé, cette perle rare, aux commentaires dithyrambiques, à 5 minutes à pied de chez moi. Dans le même hôpital où j’ai fait une grande partie de mon externat, là où j’étais passé pour mon stage aux urgences en premier semestre. Ainsi fut fait le choix de la gériatrie.

Effectivement comparé à mes deux précédents stages c’était le jour et la nuit. J’étais content d’y aller, pas mécontent que les journées se terminent mais motivé le lendemain matin à l’idée d’y retourner. Le genre de truc qu’on ne croit possible que dans les films anglais avec Hugh Grant. Il ne me manquait plus qu’un fond de musique pop pour accompagner mon trajet matinal. Une seule chanson parce qu’après j’étais déjà arrivé.

Encore une fois je tombe sur des co-internes du tonnerre (ça ne fait pas trop vieux comme expression ? J’hésitais à utiliser « pas piqués des hannetons » mais j’ai renoncé au dernier moment). Et l’équipe était TOP-I-SSIME ! Les chefs à la fois, bienveillants, humains, drôles, souriants (sauf une mais ce n’était qu’un premier abord, et avec le temps elle s’est avérée être la petite fée bienveillante qui ne montre pas qu’elle est derrière toi pour te pousser à t’autonomiser mais qui est là quand tu es sur le point de faire une connerie), une équipe paramédicale à vous faire croire que la cohésion médecin-infirmières-aide soignantes version série télé ça existe. Que demande le peuple. (du pain et des jeux peut-être).

La gériatrie n’est pas un passage obligé dans la formation médicale du médecin généraliste. Sa maquette l’oblige à faire un stage de « médecine polyvalente ». Oh la jolie expression démagogique que voilà. Mais bon, on n’est pas là pour partir dans des débats sémantiques et rhétoriques, sinon on va rater « Les Reines du Shopping ». Je disais donc qu’il fallait un stage de médecine polyvalente, ce qui inclut un sacré nombre de stage dans les choix possibles en médecine générale. Par exemple, mon stage de médecine interne validait ma maquette en tant que stage de médecine polyvalente. Je n’avais donc aucune obligation de passer en gériatrie par la suite, cela ne m’aurait pas empêché de valider ma maquette de stage et de devenir médecin généraliste. Ce qui est un peu dommage, parce que, d’après vous qu’est ce qu’on voit le plus en cabinet de médecine générale entre :

-          1) Une maladie de Kikuchi-Fujimoto
-          2) Une patiente de 85 ans en perte d’autonomie avec une liste d’antécédents et de traitements plus grande que la rubrique nécrologique de Game of Thrones
-          3) Une maladie de Chagas au retour du Venezuela
-          4) Un patient de 80 ans qui vient vous voir pour des troubles du sommeil avec tellement de facteur de risque de chute que vous vous demandez s’il ne faudrait pas tapisser son sol de matelas.

Un indice : Plusieurs réponses sont possibles.

Bref, tout ça pour dire que je pense que mon passage en gériatrie a été probablement l’un des plus bénéfiques pour ma pratique actuelle. Avec le recul, je me dis qu’à part pour les pédiatres et les obstétriciens, chaque médecin, généraliste ou non, devrait passer dans un stage de gériatrie. Parce que rien n’est plus différent qu’un patient de 40 ans avec un symptôme A, un traitement B et une anomalie de bilan C, et un patient de 80 ans avec le même symptôme A, le même traitement B et la même anomalie C. Vieillir ce n’est pas juste avoir plus de bougies à souffler sur son gâteau d’anniversaire alors qu’on a le souffle de plus en plus court. Vieillir c’est avoir un corps qui réagira différemment aux médicaments, c’est avoir des symptômes différents pour une même maladie par rapport à un patient de 20 ans de moins, voire même ne pas avoir de symptômes du tout, c’est avoir des résultats de bilan en gras ou en rouge ou avec une astérisque sans que ce ne soit pour autant des anomalies, c’est avoir une autonomie différente, un entourage différent, une façon différente de se plaindre ou de cacher des choses. C’est aussi une manière différente de mourir, de se voir mourir. Vieillir ce n’est pas une maladie et pourtant ça implique des symptômes, des changements, des handicaps. C’est aussi parfois avoir des maladies qu’on ne traite pas, parce qu’il n’y a pas de traitement, parce qu’on ne peut pas aller à l’encontre du vieillissement cellulaire et de tout ce que ça implique, alors on vieillit en n’étant plus soi-même et l’on ne peut rien y faire, et peut être qu’on ne s’en rend même pas compte ou peut-être qu’on en souffre, mais personne ne le sait parce qu’on n’est pas à même de le dire.


Comme le disait si bien Paul Claudel : « Il y a deux manières de vieillir, soit le corps l’emporte sur l’esprit, soit l’esprit l’emporte sur le corps. »

Mon burnout (Médecine interne)

Tous les évènements relatés plus haut, ainsi que d’autre, comme le fait d’avoir du négocier  avec un patient VIH, persuadé que le virus n’était qu’une invention des groupes pharmaceutiques américains pour vendre des médicaments, pour qu’il prenne ses traitements, d’avoir du contenir un autiste de 120 kg en train de courir nu dans les couloirs du service avec son pied à perfusion dans la main à frapper quiconque approchait de lui (parce que oui, l’interne est aussi responsable de la sécurité), cumulé à la charge de travail, les gardes, la pression des chefs, les familles de patient tantôt dans la manipulation, l’agression, le désarroi, les patients qui mourraient à la chaine en phase terminale de leur cancer, tout cela combiné a abouti à ce qui restera pour moi l’expérience la plus dure de mon internat. Mon burnout.

En cours, récemment, un médecin nous a dit que le diagnostic de burnout était le plus souvent raté, non vu et sa prévalence était largement sous-évaluée. Tout le monde a un seuil de tolérance différent, certains choses vous affecteront et laisseront de marbre un collègue. Il n’y a pas de temps de travail minimum pour déclencher un burnout, ni de score universel pour évaluer le stress au travail ou son retentissement sur votre vie quotidienne. Il y a autant d’impact possible qu’il y a de personne. Aucune généralité n’est possible devant le burnout. Ce diagnostic que nous devons savoir poser en médecine générale est un vrai casse-tête. Le début est insidieux, le sommeil devient plus fragile, des difficultés d’endormissement, on repense à la journée, on anticipe celle à venir et l’on angoisse. Les mêmes personnes, les mêmes lieux, les mêmes problèmes, la même pression, tout se répète, tout se ressemble, mais il n’y a pas d’autre choix que de se lever et d’y retourner. Le travail doit être fait. Les autres ont la même charge de travail que moi, dans le même lieu que moi, de quel droit pourrais-je leur imposer mon travail. Non ce serait de la lâcheté, du fainéantisme, de l’irresponsabilité. Si eux y arrivent, je n’ai aucune excuse pour ne pas y arriver. Alors les jours reprennent, tout s’enchaine, encore, et l’on essaye de se dire que cela finira bien par terminer. Il faut tenir, les autres tiennent. L’angoisse devient plus forte, on dort de moins en moins bien, l’appétit disparait, puis les envies d’une manière générale. C’est progressif, on ne le réalise pas vraiment, ou peut-être qu’on ne veut pas le réaliser. On fait bonne figure au travail, personne ne doit savoir que l’on est sur le point de craquer, ce serait faire preuve de faiblesse, cela voudrait dire qu’on est plus faible que les autres. Mais voila, on pleure, de plus en plus, en cachette en journée, le matin en allant au travail, le soir avant d’aller se coucher, de peur de s’endormir en sachant très bien que tout recommencera demain. Nos proches commencent à s’en rendre compte mais l’on n’écoute pas. Non ce n’est pas possible, pas moi. Et de toute façon, il n’y a pas de solution, en tout cas, aucune qui satisfasse tout le monde, qui ne me décharge pas de mon travail pour le déverser sur les autres qui sont tout aussi débordés que moi. Le coup de grâce arrive un samedi d’astreinte.11 entrées, 2 dans la nuit, 2 dans la matinée et 7 l’après-midi. Celle de la nuit et du matin ont été partagés entre le chef d’astreinte et moi, ce qui avec les 7 de l’après-midi m’amène à 9 entrées à ma charge en une journée. Tout cela après une semaine de travail éprouvante et avant une nouvelle qui arrive à grand pas, sans repos puisque le dimanche se passera aussi à l’hôpital. En plus des entrées, il y a les nouveaux problèmes des patients déjà hospitalisés, et la peur de mal faire car ce sont pour la majorité des patients que je ne connais que via les transmissions de mes collègues. Je ne tiendrais pas, je ne tiens déjà plus. Et les voilà, ma compagne et mon ami, qui avait détecté chez moi les signaux d’alarme et qui viennent dans le service me chercher. « Tu vas venir avec nous. Ça ne sert à rien de forcer. Tu nous fais peur. On craint vraiment pour ta santé, ce stage te tue doucement. Ça ne sert à rien de forcer jusqu’à craquer. Pour gagner quoi ? Le respect de gens qui te malmènent chaque jour sans s’en rendre compte ou pire en toute conscience ? Pour aller jusqu’à faire une erreur médicale à cause de ta fatigue psychologique et mettre en danger la vie des patients et ta carrière ? Ca n’en vaut pas la peine. ». Il leur aura fallu plus d’une heure de négociation avant que je ne finisse par l’accepter. Oui, j’étais en burnout. Et je m’en voulais de l’être, et je ne voulais pas le reconnaitre, et je me trouvais lâche par rapport à mes collègues, comment pouvais-je leur faire ça ? Mais mes amis avaient raison. Je ne mets pas seulement ma vie en danger mais aussi celle de mes patients. Cela ne peut plus durer.

Il aura fallu une thérapie, des consultations répétées et un travail sur moi-même avec l’aide de mes amis pour accepter mon burnout, et pour le dépasser. Pour que je puisse repartir sur de bonnes bases. Je décidais même de faire les deux dernières semaines du stage, en accord avec mon médecin généraliste et mon thérapeute pour ne pas finir sur une fuite, sur un échec, mais terminer le stage sur place, présent, en faisant le travail et en pouvant ainsi tirer un trait définitif la tête haute. C’est ainsi que s’est terminé mon stage en médecine interne.


La mort, mes limites, mon angoisse. (Médecine Interne)

Comme autre moment panique de mon stage, il y a ce jour dont je me souviendrais encore longtemps, dont le déroulement me revient parfois avec toujours ce même sentiment d’impuissance. Il y a deux jours dans tout mon internat qui m’ont changé, au plus profond de moi, je le sais, je le ressens encore et je me remémore parfois ces journées pour ne pas oublier. Ne jamais oublier.

Mr F était hospitalisé une nouvelle fois dans le service. Ses hospitalisations étaient fréquentes et souvent longues pour des raisons administratives, sa femme et lui ne recevant pas assez d’aide pour permettre une prise en charge adaptée au domicile. Mr F était atteint d’un carcinome du sinus piriforme, une tumeur maligne de l’hypopharynx. Suite à des complications, il avait été trachéotomisé et avait donc du mal pour communiquer et pour s’alimenter. Sa femme passait ses journées à ses cotés à s’occuper de lui, malgré ses attitudes machistes continuelles. Ils ne se plaignaient que peu l’un et l’autre, sans nier la difficulté et les contraintes de la situation actuelle. Je ne sais plus quel état le motif de son hospitalisation à ce moment donné. Le matin, à la visite, toujours débordé, dépassé, et approximatif devant la charge de travail et la lourdeur des dossiers à gérer dans un laps de temps limité, je remarque quand même que Mr F présente un myosis unilatéral à droite ( sa pupille droite était de plus petite taille qu’à gauche) mais n’y prête pas plus attention. Son examen révèle une légère hématurie connue en cours de traitement par adaptation de son traitement anticoagulant. La visite terminée, je cours à la cafeteria me chercher un sandwich à manger devant les dossiers que je devais présenter au staff de gastro vers 14h. Mes co-internes, les assistantes et les chefs partent de leur côté manger au self. Sandwich en main, dossier sur les genoux, je potassais pour ne pas paraitre trop bête le moment venu, même si une nouvelle fois la complexité du dossier m’envoyait au casse-pipe de manière inexorable. L’infirmière arrive soudainement dans le bureau médical : « Mr F est en train d’avoir une hémorragie, il faut que tu viennes tout de suite ! ». Repensant à son hématurie, je me dis que l’infirmière vient me voir pour ce motif, je sors calmement du bureau et aperçoit le personnel soignant en train de courir dans le couloir. J’accélère mon pas, et en tournant dans le couloir je vois Mme F affalé contre le mur, son t-shirt blanc recouvert de sang. Elle sanglote et hurle à faire trembler les murs. Je me précipite vers la chambre et je vois un jet de sang, puissant, jaillir de la canule de trachéotomie de Mr F. Ce dernier, les yeux paniqués, essaye de se débattre en vain, les infirmières sont couvertes de rouge, une flaque s’étend au sol juste devant mes pieds là où termine le jet de sang. Deux infirmières le perfusent, une autre se tourne vers moi « On faut quoi ? » dit elle. Aucun mot, aucun son n’est sorti de ma bouche. Plus aucune connaissance ne me venait, je ne comprenais pas, j’étais figé, sidéré. Cet homme mourrait devant moi et je ne savais pas quoi faire. Je suis parti en courant, vers les bureaux médicaux. J’ai frappé avec frénésie. Finalement la chef de service qui n’était pas partie manger m’a ouvert.
« Qu’est ce qui se passe ? ». Je lui explique tant bien que mal, toujours choqué, que Mr F se vide par sa trachéotomie. Elle se lève alors et m’accompagne jusqu’à sa chambre. Elle se tourne vers les infirmières  et dit « Hypnovel » puis une posologie dont je n’ai plus le souvenir. Les infirmières y ayant déjà pensé avaient préparés le matériel et ont pu débuter très vite le traitement. Mr F s’est endormi devant moi. Son sang continuait de sortir de sa trachéotomie, mais il était endormi. Mr F s’est vu mourir, mais pas jusqu’au bout. Il dormait au moment de son dernier souffle, quand son cœur cessa de battre devant une trop grande perte de sang.
« Tu ne pouvais pas le sauver. » m’expliqua la chef en se retournant vers moi, droite comme un i, ne trahissant aucune émotion. « Il a rompu sa carotide sur son cancer. Sans trachéotomie il se serait noyé dans son propre sang, mais là il s’est vidé par sa canule de trachéotomie. Tout ce que tu pouvais faire pour lui c’était de l’endormir pour ne pas le laisser partir dans la panique et la peur, pour qu’il meurt dans son sommeil ».
Je ne pouvais pas le sauver, personne n’aurait pu. Alors la meilleure des choses à faire devant sa mort imminente était de l’endormir pour ne pas qu’il souffre davantage et lui permettre autant que possible de partir convenablement. Comment ? Comment à 26 ans, suis-je censé accepter ça de facto ? Comment accepter que mon métier, de médecin, m’oblige un jour de prendre la décision d’endormir quelqu’un pour qu’il meure dans son sommeil plutôt que d’utiliser toute mon énergie à le sauver ? Ce n’est qu’avec du recul que j’ai réalisé cela, et que devant une situation sans espoir, le moindre mal est la meilleure des solutions. Il y a bien sur des débats sans fin sur le sujet, et il y autant de cas de figure que de personne, aucune généralité n’est possible, mais ce que j’ai retenu de ce jour c’est qu’il faut connaitre les limites du curatif pour pouvoir accompagner correctement.

Après cela, j’ai pleuré, de longues minutes. Assis, dehors, contre le mur, dans la même position que Mme F dans le couloir, sans réussir à reprendre correctement mon souffle. Cette image me revient encore aujourd’hui, son visage, ce jet de sang, sa femme, ma tétanie.

Panic party ! (Médecine Interne)

La panique peut se manifester sous différente forme. Beaucoup de gens pensent se connaitre et pouvoir prédire comment ils vont réagir devant une situation de crise brutale, inattendue, mais je pense que nous nous trompons tous. Il est impossible de prévoir ce que nous allons faire, comment nous allons réagir. Et surtout il n'y a pas qu'un seul type de panique. Mais cela je l'ai aussi appris durant ce stage.

C’était une garde de dimanche, ces gardes de 24h qui vous laissent sur les rotules, épuisé, misanthrope, avec un besoin presque incontrôlable de mal bouffe dès que possible (qui n’a jamais eu une sensation de bonheur intense lors de la première bouchée d’un big mac en sortie de garde ?). La garde avait été assez intense, mais fort heureusement la chef de nuit était bien plus compétente et efficace que son homologue de jour. J’allais me coucher à 7h du matin, quand enfin une accalmie pointait le bout de son nez entre les passages aux urgences et les appels pour les problèmes dans les différents services de de l’hôpital. Une demi-heure plus tard mon bip se mit à sonner. Une infirmière de pneumologie m’appelait car un patient que j’avais fait hospitaliser dans la nuit pour une décompensation de sa BPCO présentait une hémiplégie gauche depuis 15 minutes. Mes surrénales se sont alors vidées et j’ai foncé vers le service, via les couloirs souterrains de l’hôpital pour y accéder plus rapidement. Une fois sur place, je constate l’hémiplégie du patient, qui m’explique, avec difficulté en raison de sa paralysie faciale, que cela s’est déclaré il y a une vingtaine de minutes alors que tout allait bien à son réveil une heure auparavant. ALERTE STROKE ! Panique à bord, mon cerveau part dans tous les sens, mon examen clinique est ridicule, j’essaye de rester calme devant le patient pour ne pas rajouter à sa propre peur et faire monter davantage sa tension. J’appelle ma chef qui décroche aussitôt et me donne les numéros de téléphone des différents hôpitaux susceptibles de prendre le patient en charge. Je les note sur un bout de papier déjà recouvert à 90% de notes et de gribouillis, et j’entame ma valse des numéros de téléphone.

« Nous n’avons plus de place », « nous gardons la place pour un patient qui va arriver », « je ne peux pas accepter votre patient » etc… finalement le dernier numéro est le bon, je tombe sur un neurovasculaire, probablement l’interne de garde, qui me dit qu’il n’y a aucun problème, et qui me demande des renseignement sur le patient et l’épisode actuel, j’essaye de lui répondre tout en renversant la moitié des feuilles du dossier du patient par terre. « On a environ 4h pour le thrombolyser,  si cela est possible et s’il s’agit d’un accident ischémique, donc on va faire les choses bien, on a le temps, vous êtes à 20 min en ambulance de chez nous, donc appelez dès maintenant le SAMU et transférez le, on va tout préparer sur place ». Si j’avais pu, je l’aurai serré dans mes bras, si fort. Son calme au téléphone, la justesse de ses explications a été un vrai secours pour moi et m’ont permis de repartir sur de bonnes bases. J’appelais le SAMU qui après une longue attente et une opératrice avec qui j’ai du me battre pour qu’on m’envoie un véhicule du SAMU et non pas une simple ambulance, j’explique au patient le déroulement de la prise en charge. Soudain, une épiphanie. La glycémie ! Je ne lui ai pas fait sa glycémie ! Crétin !! C’est la base, LE reflexe devant ce type de tableau, le premier truc à faire, le plus simple, le plus rapide. Je fonce chercher de quoi faire la glycémie du patient, et mon cerveau se met alors à divaguer. « Qu’est ce qui est le mieux ? Que ce soit juste une hypoglycémie, réversible facilement, traitable dans la minute, mais j’aurai fait venir le SAMU et réservé une place en neurovasculaire pour rien, ou alors que sa glycémie soit normal et que ce soit bien un AVC ? Quel horrible pensée, comment puis-je une seule seconde souhaiter que la patient ait un AVC plutôt qu’une hypoglycémie juste pour ne pas passer pour un abruti. Encore aujourd’hui je m’en veux d’avoir eu, même une seule seconde cette pensée. Finalement le patient est parti avec le SAMU, et deux jours après j’apprenais qu’il s’en était sorti sans séquelle.

mardi 8 septembre 2015

Première annonce de maladie grave (Médecine Interne)

C’est durant ce stage que j’ai fait ma première annonce de maladie grave. Ce moment, dans la vie d’un médecin, est quelque chose de très particulier. Vous avez des cours dessus, avec des mots clés à apprendre par cœur que vous notez en liste :
- information claire, loyale et appropriée
- faire preuve d’empathie
- ne pas briser les silences
- laisser parler le patient
- faire ça dans une pièce au calme
- exposer un projet thérapeutique
Vous vous entrainez avec des jeux de rôle, vous l’imaginez, vous l’anticipez. Mais comme toujours, quand cela vous arrive pour la première fois, il n’y a plus de préparation, plus de mot clé. Il y a votre patient, son psychisme et le votre. Votre représentation de la situation et de la maladie, sa représentation de la situation et de la maladie, le transfert et le contre-transfert. Que vous le vouliez ou non, ça ne se passera jamais comme dans les cours, comme dans les entrainements. Pourquoi ? Parce que nous sommes des humains, que celui à qui nous faisons l’annonce est un humain et que rien ne pouvait nous préparer, lui ou nous, à cela. Rien.

Mr N était hospitalisé pour un accès palustre avec une importante anémie. Dans le bilan général, une sérologie VIH  avait été faite, après accord du patient. C’est un matin, en regardant rapidement sur l’ordinateur les résultats du jour que je suis tombé sur ses résultats, première sérologie positive et contrôle par western-blot positif. Je vais relater cela à l’assistante au plus vite, qui me répond « Ah oui, le Dr F (notre chef) me l’a dit hier, il a eu les infectiologues au téléphone ». Ok, merci. Merci de ne pas me tenir au courant de telles informations sur mes patients. Ça fait plaisir de sentir qu’on fait partie d’une équipe et qu’on n’est pas juste là pour faire le boulot que personne ne veut faire au prétexte que c’est pour notre formation. Juste après cela, je débute ma visite quotidienne. Arrivant à reculons à la chambre de Mr N :

-          Il faudra que je repasse à la fin de ma visite. On devra parler de vos résultats.

Génial, je parle comme un PDG agacé par les faibles bénéfices du premier trimestre.

-          Ok. Rien de grave ?

Que dire ?
-          Option 1 « Ah ben si, vous avez le VIH, mais je préférerai qu’on en parle plus calmement. Je voulais vous garder la surprise mais décidément on ne peut rien vous cacher ».
-          Option 2 « Non, non. Rien de grave. Enfin, tout est relatif. Bref, vous verrez. Après tout est affaire de point de vue mais je dis ça, je dis rien ».
-          Option 3, que j’ai choisi sans vraiment m’en rendre compte puisque sur le moment on ne choisit pas vraiment sa réaction, la non réponse, ni oui ni non, noyer le poisson. « On en reparle toute à l’heure, je dois terminer ma visite ».

La visite terminée, je retourne vers la chambre de Mr N, l’estomac noué. Je me dis que cela fait partie de mon métier, qu’après tout il vaut mieux être à ma place qu’à la sienne et que j’ai plutôt intérêt d’être en pleine possession de mes moyens parce qu’il va falloir que je suis ultra-présent pour lui et au summum de mon professionnalisme. Cette dernière phrase me fait beaucoup rire avec le recul parce qu’au moment où je pense cela, je me dis que cela implique de ne pas pleurer, de ne pas paniquer et de ne pas bégayer. C’est une certaine vision du professionnalisme…
Nous nous sommes installés dans la salle de staff du service, assis, face à face, séparé par la table du staff dans sa largueur.

-          Bon, il faut que je vous parle, par rapport aux tests qu’on a faits. Vous vous souvenez ? (peut être que comme ça il va comprendre de lui-même)
-          Oui, le paludisme, tout ça.
-          Oui, tout ça (ce n’est pas gagné), le paludisme, les infections. (bon là quand même il va bien se douter de quelque chose quand même)
-          Oui, ben alors ? (bon, je pense qu’il ne va pas échapper à l’effet de surprise, il n’a pas l’air du tout de se douter de ce que je vais lui dire)
-          Mr N, je suis désolé de vous dire ça, mais vos tests, même après contrôle, se sont révélés positifs pour le VIH. Vous êtes atteints du VIH.

Je pourrais replacer la seconde précisément où il a réalisé ce que je lui disais. Lui qui me fixait depuis le début de l’entretien, ne regardait plus que la table. Il commença à faire des mouvements probablement involontaires, avec ses mains, comme s’il se les lavait sous l’eau. Il y eut un long silence. Me rappelant les cours sur l’annonce de la mauvaise nouvelle je me forçais de respecter ce calme avant la tempête. Et croyez moi, c’est très dur. J’aurai voulu enchainer directement avec des phrases comme « mais maintenant ça se traite bien », « on va continuer les bilans pour savoir exactement où vous en êtes vis-à-vis de la maladie », « il faudra que vous en parliez à votre femme », mais pas tout de suite, de toute façon à quoi bon, je pourrais très bien lui dire tout ça ou me mettre à chanter Les Rois Mages de Sheila, son état de choc sur le moment fait que rien de ce que je ne pourrais dire ne serait correctement compris ou retenu et qu’il est donc au final beaucoup plus utile pour moi de la fermer et de voir ce que lui va me dire. N’ayant jamais assisté à une annonce jusqu’à ce jour, je n’aurai jamais pu prévoir ce qui allait se passer. Je m’attendais à ce qu’il pleure, à ce qu’il s’énerve, à ce qu’il dise des choses comme « Comment c’est possible ? » « Pourquoi moi ? » « Je ne mérite pas ça ». En me projetant à sa place c’est ce que j’aurai surement dit, avec une irrépressible envie de tout renverser dans la pièce. Car c’est à ce moment précis que sa vie a basculé du tout au tout. Certes il avait le VIH avant que je lui dise, je n’ai fait que lui annoncer, mais pour lui il y aura toujours un avant et un après. Tous ses projets d’avenir vont devoir être redéfinis avec cette donnée supplémentaire. Le silence dura presque cinq minutes, cinq interminables minutes. Finalement, ce fut lui qui le brisa, avec cette phrase dont je ne me croirai jamais capable après une telle annonce :

- Ok. Maintenant on fait quoi ?

samedi 5 septembre 2015

Tout controle est illusion (Médecine interne)

Les décès étaient fréquents dans le service du fait des pathologies graves, parfois terminales de certains patients. Beaucoup étaient attendus, et si les premiers surprennent un peu, on fini par vite se créer une carapace vis à vis de cela, par obligation, afin de pouvoir être à 100% pour les autres patients. Ce n’est aps être inhumain ou manquer d’empathie, c’et au contraire un travail nécessaire pour se préserver soit même afin d’être apte à prendre en charge correctement les autres patients aussi. Ce juste milieu entre l’empathie et sa propre protection psychique est un sujet que je trouve fascinant, d’une complexité effarante. On essaye de faire de son mieux pour l’atteindre, ce juste milieu, malgré tout certaines morts brise notre carapace, tout simplement parce que qu’on le veuille ou non, on est humain.


Mme N, 98 ans, a été admise dans le service pour une pyélonéphrite sévère avec troubles majeurs de la conscience sur des perturbations électrolytiques. Lorsqu'elle arrive dans le service, elle est encore sous noradrénaline, ce qui n'est pas autorisé en salle hors service de réa devant la surveillance et la lourdeur de prise en charge qu'implique ce type de traitement. Un germe est vite retrouvé et une antibiothérapie est débutée. Après 48h, la noradrénaline est arrêté, et doucement Mme N revient à elle, avec comme principal soucis la qualité, ou plutôt la non qualité, de la nourriture hospitalière et sa constipation (même Jésus il n’a jamais fait une telle résurrection !). Son traitement a pu être passé par voie orale, et sa perfusion sera retirée demain pour permettre son retour en maison de retraite. Mais le matin du départ, lorsque j'arrive dans le service, sa chambre est vide, alors qu'elle ne devait partir que dans l'après midi. Son dossier est sorti sur la paillasse de la salle de soin, et l'infirmière m'apprend que Mme L est morte dans la nuit d'une hémorragie digestive haute massive. Elle avait vomi du sang jusqu’à en mourir. Le jour où elle devait quitter l'hôpital, alors qu'elle était arrivée presque mourante et que la veille elle avait encore pesté contre son repas du midi. Avais-je fait une erreur ? L'avais-je trop anticoagulée ? Je reprenais le dossier dans son intégralité pour revoir ses derniers bilans, ses traitements à la recherche du moindre indice qui aurait pu/du me mettre la puce à l'oreille, me permettre d'anticiper cela et d'éviter que cela n'arrive. Mais à quoi bon, je ne pouvais pas revenir en arrière. Au mieux j'aurai pu une nouvelle fois apprendre de mes erreurs pour ne pas que cela se reproduise, mais le dossier ne m'apporta rien. Elle était morte, et cela était irréversible. Je restais avec la peur désormais que cela se reproduise pour n'importe quel autre patient.

Arrivée en Médecine interne (Médecine interne)

Après un premier semestre à voir soit de la bobologie, des caprices pour arrêt de travail, soit des patients un peu plus malades mais avec une pratique différente d'un chef à l'autre, je décidais de me lancer dans l'expérience "Médecine interne". J'avais pu voir, via quelques patients passés par les urgences et transférés dans des services de médecine interne la complexité de leurs pathologies et de leur prise en charge. Et de toute façon, mon souhait n'étant plus de devenir urgentiste, il était important de me former à suivre correctement des pathologies à plus long terme comme je pourrais le voir en cabinet de médecine générale. Un ami, anciennement interne dans le même service que j'avais choisi m'avait dit "tu vas en chier, mais tu vas beaucoup apprendre". Sur de moi je me disais que de toute façon, personne n'apprend sans contrepartie. Ce que je n'avais pas prévu c'était le vrai sens du début de sa phrase.

Premier jour, après un staff interminable de 8h30 à 10h, chaque interne se retrouve responsable de 8 ou 9 patients, des dossiers plus massifs que les premières éditions de La Bible de Gutenberg, des pathologies lourdes, très lourdes, des traitements dont je n'avais jamais entendu parler. Et on nous demande de faire notre première visite à J1, et de terminer avant 14h sinon le self sera fermé, et de toute façon passé 14h30 il faudra voir les familles et gérer les entrées des nouveaux patients. Cela nous est annoncé comme si c'était normal, facile, une évidence même. Après 6 mois d'urgences éprouvant, il ne m'aura cette fois fallu que 48h avant de pleurer dans le couloir en faisant ma visite, obligé de choisir entre aller plus vite ou faire bien, sachant que de toute façon même en allant vite je finissais après 14h, et même en prenant mon temps pour bien faire je ratais la majorité des données importantes des dossiers.
Pour préciser les choses, les patients étaient hospitalisés pour des pathologies comme des infections à germes multi-résistants sur chambre implantable, avec diffusion en sous cutanée de la dernière chimiothérapie ou infection à mycobactérie atypique d’un nouveau genre, apparentés aux germes de la tuberculose, avec des germes différents retrouvés dans une biopsie du foie et dans un prélèvement pulmonaire, le tout chez un patient SDF, en dénutrition sévère, ne parlant que peu français, accro à la cigarette, refusant de porter son masque, sniffant en permanence son pansement alcoolisé posé sur sa récente lymphangite et qui avait déjà fugué deux fois. Lui je m’en souviens parfaitement, et il y a de quoi. Et ce ne sont la que deux dossiers classiques parmi les 9 que nous avions à gérer. Ajoutez à cela, un médecin assistant qui vous dit de prescrire un examen et qui ne vous soutient pas quand à la visite le grand chef vous demande avec un regard accusateur pourquoi vous avez prescrit cet examen, ce que vous en attendiez et si vous réalisiez son coût !

Certes, j'apprenais beaucoup, les chefs étaient des puits de science inépuisables, toujours curieux d'en apprendre davantage et de nous en apprendre plus, mais avec le stress de la salle à gérer, il était souvent difficile d'avoir la force de se consacrer à un apprentissage dans de bonnes conditions.


Psychologiquement ce stage a été de loin le plus dur et je détaillerai plus loin jusqu'où cela m'a mené.

Conclusion de ce premier stage d'interne (urgences adultes)

Les mois se sont enchainés, et m’ont paru interminables. Parfois au fond du gouffre, à pleurer en salle de staff avec les chefs qui faisaient semblant de ne pas le voir, parfois motivé et débordant d’énergie (beaucoup plus rarement).


Ce premier stage m’a apporté beaucoup. Il m’a permis de savoir que je ne voulais pas être urgentiste, que l’internat allait probablement être plus difficile que prévu, qu’avec des bons co-internes rien n’est impossible et que j’allais faire des erreurs, encore et encore, et que tant que je ne l’accepterais pas je ne pourrais jamais progresser correctement, et surtout j’ai pour la première fois réalisé que je devais essayer de faire ma pratique de la médecine et non pas celle qu’attendent de moi les patients, sinon je ne m’en sortirais pas. 

vendredi 4 septembre 2015

Tu bluffes Martoni ! (Urgences adultes)

Pêle-mêle d’autres choses me reviennent. Les plats du midi, les mêmes que ceux des patients, à la consistance unique, entre le solide et le liquide, avec un gout si particulier qu’il doit y avoir des réunions hebdomadaires à l’Académie Française pour trouver des nouveaux adjectifs péjoratifs afin de le décrire. La première fois que j’ai scié une alliance, la première fois que j’ai remis une malléole en place, sur une cheville qui avait profité du verglas pour permettre au pied de la patiente d’être entièrement perpendiculaire (et non péremptoire) à sa jambe, cette mamie démente qui m’a mise à genou avec une clé de bras parce qu’elle ne voulait pas que je lui colle ses patchs ECG. Et mon premier vrai bluff. Car il ne faut pas le nier, parfois la médecine c’est aussi du bluff. Ce n’est pas une question de mensonge, plus de la manipulation à but thérapeutique. Un jour de tri, en train de voir les patients à la chaîne, voila que je reçois dans mon box Mr T, atteint de schizophrénie, suivi à l’autre bout d’Ile de France, mais qui a décidé ce jour là de venir dans l’hôpital où je travaille. C’est trop d’attention, je suis touché. Mr T déambulait depuis une bonne heure dans la salle d’attente sous les regards inquiets des autres patients. Alors que je l’appelle dans mon box, il m’y rejoint dans son élan ininterrompu depuis son arrivée aux urgences. Son entrée dans le box ne changera en rien sa marche, et le voila en train de faire des tours sur lui-même.

-          Je vous écoute, Mr T, qu’est ce qui vous arrive ?
-          J’ai eu mon Risperdal ce matin, la piqûre.
-          Très bien. Et du coup qu’est ce qui vous arrive ? (deuxième fois)
-          Depuis je ne peux plus m’arrêter de marcher.
-          Ah bon, et pourquoi ?
-          Mais parce que sinon je vais mourir !

Je ne sais quelle tête j’ai fait à ce moment précis, mais ça devait être la même que celle de quelqu’un en train de diviser 697 par 13 en calcul mental.

-          Parfait, parfait. Je reviens. Vous voulez que je vous ouvre le box pour que vous ayez plus d’espace pour marcher en attendant que je revienne ?
-          Merci docteur.

Je suis donc allé voir le psychiatre des urgences, qui m’a gentiment expliqué qu’il ne pouvait rien y faire, que ce n’était pas une urgence et qu’il fallait que je le redirige vers le CMP de son secteur. Merci. (Ce « Merci » vous est offert pour l’amicale des sarcastiques qui se retiennent de ne pas te faire manger leur stéthoscope par le nez). Fantastique. Je n’ai plus qu’à chanter All by Myself, fermer les yeux, prier très fort et espérer que si mon cœur est pur, une solution à ce problème s’offre à moi. Une épiphanie. C’est exactement ce qui s’est produit. Le bluff, il ne me restait plus que ça. Je suis allé à la pharmacie des urgences, j’ai pris deux petites gélules et je suis retourné dans mon box.

-          Bon, j’ai parlé avec le spécialiste, et il connait le problème. Il m’a donné le médicament pour votre problème.
-          C’est vrai ?
-          Oui (#pokerface). Je vais vous le donner. Ça devrait faire effet d’ici 10 minutes.


Et c’est ainsi que la malédiction de la marche incessante du Risperdal injectable fut vaincue par deux spasfon.


Petite note supplémentaire :
Suite à une discussion sur twitter, j'apprends l'existence de la tasikinésie akathisie, effet secondaire possible des neuroleptiques qui s'apparente à ce que présentait ce jour ce patient. Symptomes pouvant entrainer des douleurs importantes. J'ai donc eu de la chance ce jour là que cela se termine bien avec un placebo, mais si c'était à refaire je harcelerai davantage mon chef ou le psy de garde pour discuter d'une prise en charge. Merci à Psylene Med

De la naissance de ma pratique (urgences adultes)

Autre leçon tirée pendant ce stage, ce que j'appelle le doute par l'expérience. Bien sur parler d'expérience pour un interne de premier semestre est très relatif, mais il suffit qu'un cas vous marque et c'est une remise en question de toute votre démarche diagnostic. Mme L consulte aux urgences fin février, elle présente des maux de tête depuis plus d'un mois qui fluctuent dans le temps, elle est parfois soulagée par la simple prise de paracétamol. Elle est accompagnée de son mari qui est très anxieux car, m'explique-t-il, « [il] a perdu sa soeur d'une rupture d'anévrysme il y a un mois ». L'examen clinique de Mme L retrouve une tendance à la rétropulsion, mais aucune autre anomalie. Dans le doute, je demande l'avis d'un chef, qui m'explique que si elle a mal depuis un mois ce n'est pas une urgence sauf examen neurologique nettement anormal, il me suggère de lui prescrire de l'advil et de l'ixprim pour ses maux de tête dans les cas où le paracétamol ne suffirait pas. Je retourne expliquer cela à la patiente, mais insatisfait de ma prise en charge, ou peut être influencé par l'histoire du mari (je ne saurai jamais), je décide de lui prescrire une scanner cérébral à faire en ville. Deux semaines plus tard, Mr L de demande à l'accueil des urgences, et me montre le scanner de sa femme avec une tumeur de taille imposante et demande "Vous en pensez quoi ?". Finalement Mme L a été hospitalisé le jour même et opéré en neurochirurgie quelques jours après sans séquelle. Mais désormais, je ne verrai plus des céphalées persistantes de la même manière, en accord ou non avec les recommandations de l'HAS. Et surtout, je ne prendrai plus jamais pour parole d'Evangile ce qui vient d'un supérieur, sans jamais manquer de respect mais toujours en confrontation avec mes propres idées et mon propre ressenti devant le ou la patiente. Peut-être était-ce la début de ma vraie formation.

ECG surprise (urgences adultes)

La médecine c’est aussi de l’imprévu, on pense qu’on commence à voir venir les choses, on se sent plus confiant après quelques mois, on repère plus facilement les patients « à risques », mais rien n’est plus imprévisible qu’un patient. Rien. Je me souviens de cette patiente consultant pour une constipation, avec comme antécédent un diabète insulino-dépendant. Il était 17H45 et une de mes co-internes me proposa de l’accompagner faire son ECG, histoire de faire quelque chose en attendant 18h pour ne pas risquer de prendre un nouveau dossier qui s’avèrerait probablement être chronophage et nous faire terminer beaucoup plus tard que prévu. Quand je me remémore ce moment, je revois parfaitement le visage de ma co-interne se décomposer quand la feuille de l’ECG a commencé à sortir de l’appareil, révélant une flagrante onde de Pardee diffuse, signant un infarctus du myocarde en direct. « Surement un bug, on va en faire un deuxième » proposai-je. Evidemment, même résultat.

La patiente ne se plaignait d’aucune douleur, nous avons tenté tant bien que mal de garder un calme apparent tout en sortant pour vite aller demander l’aide d’un chef. La patiente est alors très vite partie pour une prise en charge cardiologique adaptée, mais cela n’a pas suffi et elle est décédée dans les heures qui ont suivi. Ce fut une vraie claque. Comment, alors qu’elle consultait pour une constipation, s’est-elle retrouvée à faire un infarctus, initialement asymptomatique, découvert sur un ECG à la justification non classique, pour qu’aucun final, alors que le diagnostic a pu être posé, ne pas s’en sortir ? Cet évènement m’a permit de réaliser pour la première fois que, avec ou sans blouse, nous ne contrôlons rien.

De la routine survient l'erreur (urgences adultes)

Malheureusement en médecine il arrive que ce soit de nos erreurs que l’on apprenne. Il n’y a parfois pas d’autre moyen de retenir une leçon tant le fossé entre la théorie et la pratique est grand. Dans la course, l’obligation d’un temps donné consacré à un patient pour pouvoir vite passer au suivant (je me souviens qu’on nous disait qu’il fallait viser le 7 minutes par patient), il est difficile, voire impossible, de ne pas faire des erreurs. La première intervint lors de mon deuxième jour de stage, après les quelques jours de repos qui avaient suivi ma première garde.

Prenant en charge un patient âgé avec un syndrome Parkinsonien venu pour des vomissements répétés sans douleur abdominale, j’ai eu le – mauvais – reflexe de vouloir le soulager rapidement et j’ai opté pour une ampoule de metoclopramide, ce qui lui a aggravé de manière important sa dyskinésie avec une rigidité extra-pyramidale majeure en très peu de temps. Pour résumé, j’ai transitoirement aggravé sa maladie de Parkinson ce qui donne un effet « Danse du robot » quand le patient veut bouger. Cela m’aura certes servi de leçon, mais comment ne pas penser au patient qui s’est retrouvé avec une gêne majeure, certes réversible en quelques heures mais tout de même. Autre erreur, durant l’hiver, quand le tri tournait à plein régime devant l’afflux de syndrome grippaux, j’oubliais pour un patient de demander s’il avait voyagé récemment, son tableau de courbatures, fièvre, nausées, me paraissant une grippe évidente, comme les dix patients avant lui avec les mêmes symptômes. Mais voilà, ce dernier revenait du Mali pour des raisons professionnelles, et il est revenu aux urgences 3 jours après sans aucune amélioration sous doliprane, et une hématurie franche (du sang dans les urines) qui a poussé mon chef à faire un interrogatoire plus complet pour réaliser une recherche de paludisme qui s’est avérée positive. Depuis je demande systématiquement devant toute fièvre si le patient a voyagé récemment, quel que soit les symptômes, et la date. Il fallait au moins que j’en tire une leçon.

Et bonne santé (urgences adultes)

Certains patients, certains cas de figure m’ont plus marqués que d’autre sur ces six mois. Mais baigné dans le stress, stress de ne pas savoir, stress de mal faire, stress de trop demander de l’aide et de ne pas assez s’autonomiser, stress de la salle d’attente noire de monde où les gens s’énervent, il y a énormément de chose dont je ne me souviens plus.

J’ai le souvenir de cette garde du 31 décembre, ma compagne l’avait prise aussi, mais en tant qu’externe. Un rush sans pause empêcha tout le monde de se poser pour fêter la nouvelle année, ne serait-ce que 20 minutes. Au tri, comme toujours pour les gardes, je me retrouvais avec un patient d’une trentaine d’années venu consulter à 23h, que je recevais à 23h55 pour une constipation depuis 3 jours. Je n’ai pas osé lui demander s’il venait vraiment pour ce motif ou s’il ne voulait juste pas passer le nouvel an seul. J’aurai peut-être du car cela reste pour moi une énigme. Peu après minuit, les pompiers nous ont amené un homme avec la main droite réduite en charpie par un simple pétard. Les tissus étaient à vifs, le jeune homme hurlait comme jamais je n’avais entendu quelqu’un hurler. Il fut pris en charge en salle de déchoquage sans délai, ses doigts étaient déformés à un point que si je n’avais pas vu que cela était raccroché à son bras, je n’aurai pas pu deviner qu’il s’agissait d’une main. Le temps de trouver la bonne dose d’antalgique pour le soulager, ce fut de longues minutes, presque une heure de hurlements continus, vous prenant les tripes, qui résonnaient dans les urgences pour bien débuter l’année. Après ça, je me suis dit, « plus jamais le nouvel an aux urgences ».


Le chaud et le froid (urgences adultes)

Mais il n’y a pas eu que du négatif pendant ces 6 mois. Mes co-internes, mes premiers co-internes, quelle découverte. Une équipe de choc de 8 internes de premier semestre avec des caractères allant du tout au tout, mais toujours un soutien sans faille entre nous. C’est peut-être ce qui nous a permis de tenir les 6 mois. Outre le soutien, le simple fait de savoir que l’on n’est pas le seul à ressentir les angoisses, la fatigue accumulée qui nous faisait parfois pleurer dans des box, au staff le matin, ou avant d’arriver en stage, le stress, de savoir que les autres aussi font des erreurs, c’est extrêmement salvateur et rassurant, et du coup on est moins réticent à l’idée de parler des nôtres. Cette amitié est d’ailleurs toujours d’actualité au moment où j’écris ces lignes. Je n’oublierais jamais le regard échangé avec une de mes co-internes, un matin au staff, nous avions tous les deux enchainés plus de 15 jours sans repos, et voilà que la responsable de l’orientation des patients à hospitaliser se plaint auprès de l’une des chefs d’enchainer son 5ème jour de suite, après quoi elle a droit à une Ola de la part des chefs présents en salle de staff. C’est à ce moment précis, quand nous avons croisé nos regards que nous avons réalisé à quel point tout cela était risible, presque pathétique.

Les chefs, il y en avait de toute sorte, un vrai échantillon représentatif, le tire-au-flanc, la fausse gentille, la stressée pathologique, le trop calme, le détaché de tout, le bordélique, la motivée, la souriante en toute circonstance, le consciencieux, l’anxio-dépressif et j'en oublie surement. Ce qu'ils avaient tous en commun c'est l'impression quotidienne qu'ils  renvoyaient de ne pas aimer leur travail. Vous prenez ça 6 jours sur 7 par semaine, avec une prise en charge différente pour un même problème d'un chef à l'autre, une incompréhension totale de leur part de notre désarroi devant cette méthode d'apprentissage, le  tout saupoudré d’une ambiance très variable, sur des données qui nous dépassaient complètement, nous internes, avec des conflits de chefferie et vous avez votre premier début de dépression sur votre premier semestre et vous obtenez, non pas du pudding à l’arsenic, mais de quoi ruiner tout vocation à devenir urgentiste.

Je n’oublie pas bien sur l’infirmière en fin de carrière, celle dont l’aigreur n’a d’égale que celle d’un verre de lait tourné depuis une bonne semaine. Qui le premier jour, au moment où l’on vous présente à l’équipe soignante n’a comme mot de bienvenue que « génial, on nous colle des nouveaux alors que les anciens commençaient à peine à bien faire leur travail ». On croit que ce type de personne n’existe que dans les séries, et un jour on rentre dans le monde du travail et on réalise que certains arrivent vraiment à se supporter eux-mêmes avec ce type d’attitude et de caractère. Elle est de loin, de très loin, ce qui me manque le moins depuis que le stage est fini. Je chercher d’ailleurs à savoir quand a lieu son pot de départ. Je compte bien venir avec une bouteille de champagne millésimée parce que certain départ se fêtent plus que d’autres. M’arrêter à cette personne pour parler de l’équipe soignante serait une grave erreur, car il n’y avait pas que tatie Danielle, et la grande majorité du reste de l’équipe soignante était vraiment bien, prête à nous aider en cas de doute, souriante, peu stressante avec nous, internes de premier semestre, parfois à l’écoute quand tout allait mal. Je préfère de loin me rappeler  cette partie de l’équipe

L'enfer c'est les autres (urgences adultes)

Ce semestre fut difficile pour plusieurs raisons. La découverte du monde du travail, ce monde où contrairement à ce que l’on a connu jusque-là on ne choisit pas son entourage, les inéluctables conflits, où notre position d’intermédiaire entre le patient demandeur (avec plus ou d’insistance et de diplomatie) et le chef décideur nous laisse sans réelle défense au milieu d’une situation où nous ne contrôlons rien. Dire non, voila quelque chose de difficile. Ce n’est pas inné pour tout le monde de savoir dire non. Bien sur c’est facile de l’extérieur de critiquer et de dire « moi je lui aurai pas fait un arrêt de travail » « avec moi, jamais il n’aurait pu rentrer chez lui en ambulance ». Mais quand votre salle d’attente est pleine, que vos cernes chatouillent votre menton, que vous en êtes à plus de 65 heures de travail cette semaine, il arrive que vous cédiez de manière un peu complaisante, un peu lâche, un arrêt de travail ou un bon de transport. Parce que vous n’avez pas le temps de gérer un colérique capricieux qui vous dit qu’il ne sortira pas de votre box de consultation sans son arrêt, parce que vous n’avez pas l’énergie de parlementer avec ce béotien (parce que connard ce serait injurieux) qui veut une ambulance pour rentrer chez lui parce que son entorse l’empêche de marcher alors qu’il est venu à pied aider par des amis, et qui vous attrape par le bras en vous fixant droit dans les yeux et en vous traitant d’enculé (ce qui est injurieux). Ce philistin a qui vous rêvez de décrocher la mâchoire parce que c’est le 4ème de la journée à vous faire perdre votre temps pour ce genre de chose, alors qu’il n’est même pas 16 heures. Alors vous acceptez, et au final, tout ce que vous récoltez c’est son mépris et votre colère contre vous-même, d’être allé à l’encontre de vos convictions, de vous être renié juste pour avoir la paix et pouvoir continuer votre travail.

mardi 1 septembre 2015

Premier jour aux urgences

Mon premier choix s’était porté sur les urgences. A cette époque c’était encore mon souhait de carrière, urgentiste. Cela a bien changé depuis. Mais n’étant jamais passé en médecine générale (les stages en tant qu’externe se faisaient à plus de 30 kilomètres de chez moi, dans des endroits desservis uniquement par un TER, donc sans voiture c’était une option inenvisageable) il était difficile d’en faire une vocation. J’avais le souvenir de mes gardes aux urgences en tant qu’externe, un souvenir pas trop désagréable, avec quelques anecdotes qui m’avaient marquées et l’idée de voir de tout en une journée, de l’orthopédie, de la gastro, de la neuro, de la dermato, de la gériatrie et j’en passe.

Deux heures. Au total, la veille de mon premier jour, j’ai du dormir deux heures. Cette saleté de cerveau avait décidé de passer en surchauffe, dans un mélange d’impatience, d’hystérie, d’incertitude, d’angoisse. Heureusement les urgences que j’avais choisies étaient au bout de ma rue. Maximum 5 min de trajet à pied. Mais comme d’habitude je n’avais pas pu m’empêcher d’arriver une heure en avance par peur d’un événement qui aurait pu me mettre en retard sur le chemin, soit 800 mètres en ligne droite. Un glissement de terrain, une éruption volcanique, le crash de la station spatiale internationale, une faille spatio-temporel, sont si vite arrivés, on n’est jamais trop prudent.
Arrivé le premier, je demande, à l’accueil des urgences, après m’être présenté, où je dois patienter. La personne de l’accueil m’indique alors la salle d’attente générale des urgences. Cela me parait douteux, mais soit, je ne vais pas commencer mon stage en mettant en doute la parole de ma nouvelle collègue.
Finalement son information s’avère exacte, une fois mes co-internes installés dans la même pièce que moi. Difficile au début de savoir comment débuter une conversation, mais heureusement je connaissais deux de mes co-internes qui étaient dans la même fac que moi durant l’externat..

-          Apparemment, il y aurait un nouveau chef des urgences.
-          Ah bon ? c’est qui ?
-          Le docteur K, celui qui nous faisait les cours de sémiologie, qui était en médecine interne, il est trop sympa.
-          C’est génial ça !

Cela se confirma très vite lorsque le Dr K s’installa avec nous dans la salle d’attente des patients, souriant, comme à son habitude.

-          Vous êtes les nouveaux internes ?
-          Oui.
-          Enchanté, je vais me mettre avec vous alors, pour moi aussi c’est mon premier jour.

Une ancienne chef vint alors nous chercher pour nous emmener à une salle de staff et nous présenter le stage, leurs attentes vis-à-vis de nous, les horaires, le fonctionnement du service, et autres formalités administratives. S’en suivit une queue interminable pour avoir une blouse et remettre mon RIB, et un planning que l’on nous demande de faire sur 6 mois en moins d’une heure, comme si cela était possible. Ainsi  commença mon internat de médecine générale.

**

Je ne sais pas quelle mouche m’a piqué, mais le fait est que je me suis proposé volontairement pour la première garde, qui a donc fait suite à toutes les obligations administratives. Les gardes des urgences se faisaient dans ce que l’on appelle « le tri », une sorte de consultation de médecine générale, sans bilan, avec parfois des radiographies pour les traumatismes. En fait tous ceux qui avait été trié par l’infirmière d’accueil et d’orientation (IAO) comme ne nécessitant ni bilan, ni surveillance, se retrouvaient au tri. Et avec le nombre de personne qui viennent pour des motifs aberrants ou de la simple inquiétude aux urgences, cela fait du monde. Le tri était un peu excentré par rapport aux urgences et mon box de consultation tenait en 5m² avec un brancard, un ordi, deux chaises, un lavabo et un plan de travail avec des feuilles et du matériel médical. Surement afin d’éviter qu’un jour un interne ne s’échappe dans un moment de lucidité, il n’y avait aussi aucune fenêtre.

Ce fut le début d’une interminable nuit. Une panique constante que je ne devais pas laisser transparaitre devant le patient, une solitude extrême, seul avec mes doutes et mes lacunes après cinq mois sans toucher à de la médecine. Un chef qui s’est dit « à ma disposition en cas de soucis » en début de garde mais qui m’a vite fait comprendre que si je venais le voir pour confirmer mes choix pour chaque dossier, cela n’allait pas être possible longtemps. J’ai donc décidé de me lancer, sauf gros doute, en me disant que de toute façon, au pire ils reviendront ou iront voir leur médecin généraliste qui les prendra bien mieux en charge que moi. Malgré tout, la sensation de ne pas bien faire mon travail, de trahir la confiance que les patients me portent se référant à mes explications et mes décisions sur leur santé, me retournait l’estomac. J’étais partagé entre croire en mes connaissances et peur de passer à coté de quelque chose qui mettrait en jeu leur santé. Cette première garde fut au final très instructive. Je n’aimais pas les urgences. Et le fait d’avoir du manger seul à 3 heures du matin parce que les chefs avaient oubliés de me prévenir quand ils sont allés manger m’a confirmé que je n’aimais pas cet endroit non plus. Cette première garde, premier jour m'a aussi appris le sens du mot responsabilité. Car oui, l'autonomie (même imposée) à un prix, celui de la responsabilité et quand on signe ses premières ordonnances avec son nom inscrit dessus, on réalise la portée de ce simple geste, et la violence du terme "responsabilité".